Projet d’Énergir et de Waste Management à Sainte-Sophie

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE/ Le lieu d’enfouissement de Waste Management à Sainte-Sophie, en janvier dernier

À l’attention de Benoit Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, responsable de la région des Laurentides et député de Deux-Montagnes

Par Normand Léo Beaudet Coalition alerte à l’enfouissement Rivière-du-Nord (CAER)

et Jean-Pierre Finet Analyste et porte-parole, Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEE), et 11 cosignataires*

Monsieur le Ministre, à la suite de la remise du rapport par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE)⁠1 concernant le projet d’Énergir⁠2 de raccordement du site de valorisation des biogaz et de biométhanisation de Waste Management (WM) situé à Sainte-Sophie au réseau de gazoduc de Mirabel, une décision cruciale vous incombe.

Il vous revient de proposer au gouvernement du Québec d’accorder ou non son autorisation. Nous, signataires de cette lettre, sollicitons votre attention pour vous exprimer notre ferme recommandation de refuser le projet.

Un méga-enfouissement nocif

D’entrée de jeu, il est capital de souligner que près de 20 millions de tonnes de déchets fortement contaminés sont enfouies au lieu d’enfouissement technique (LET) de WM à Sainte-Sophie. Le méthane généré par ces déchets est l’une des trois sources prévues pour alimenter le gazoduc. Cette masse de déchets repose en grande partie sur des géomembranes dont la garantie est d’à peine 20 ans⁠3, représentant ainsi un risque significatif de contamination des précieuses nappes phréatiques environnantes.

Quant au projet de gazoduc Énergir-WM de Sainte-Sophie, s’il devait être approuvé, il impliquerait le méga-enfouissement de matière organique pour les 20 années à venir.

Cela entraînerait ainsi un flux continu de 400 camions par jour en provenance de tout le Québec⁠3. Ce méga-enfouissement en vrac de matière organique, tel qu’il est pratiqué au LET de Sainte-Sophie, va à l’encontre des principes de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles⁠4, laquelle promeut une gestion et un enfouissement régional (MRC) des matières résiduelles générées localement ainsi que la valorisation, prioritairement par compostage, des matières organiques.

Mauvais investissements et destruction des écosystèmes

Ce projet de gazoduc prévu à Sainte-Sophie risque de renforcer la dépendance à l’enfouissement de la matière organique et au gaz, une orientation dont nous devons nous éloigner pour contrer l’impact grandissant sur le réchauffement climatique. Il est essentiel de noter que pour limiter ce phénomène à +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, les pays développés de l’OCDE doivent éliminer l’utilisation du pétrole et du gaz naturel d’ici 2040.

« Ce projet de gazoduc prévu à Sainte-Sophie risque de renforcer la dépendance à l’enfouissement de la matière organique et au gaz », estiment les cosignataires.

Il convient de souligner que le rapport du BAPE mentionne des lacunes significatives dans l’estimation des réductions des émissions de GES proposées par Énergir, indiquant une surestimation qui minimise la performance réelle du projet.

Suivant ce raisonnement, nous croyons que construire un gazoduc s’étendant sur une longueur de 10 kilomètres dans le but d’injecter un peu de gaz naturel renouvelable (GNR) dans un réseau de gaz naturel appelé à se tarir d’ici 2040 constitue une utilisation inappropriée de cette matière première et une dangereuse perturbation de nos précieux écosystèmes. En effet, la construction du gazoduc aura des impacts directs sur nos milieux humides et nos terres agricoles⁠5.

Le GNR, une illusion

Enfin, nous pensons fermement que l’encadrement strict de l’utilisation du GNR est nécessaire. En effet, le rapport du BAPE est clair à ce propos et il suggère une réévaluation critique de l’utilisation finale du GNR dans le mix énergétique québécois. Des études récentes contestent le caractère « vert » du GNR⁠6, montrant du doigt sa non-carboneutralité, sa rareté, son coût élevé et ses impacts environnementaux. Il est plutôt recommandé de privilégier l’utilisation du GNR pour des usages ciblés et spécifiques, principalement pour les procédés difficiles à électrifier.

Il serait également plus judicieux de favoriser des applications locales et dédiées plutôt que d’injecter directement le GNR dans le réseau gazier. La situation de Papiers Rolland, située à environ 13 kilomètres du site de production de biogaz, illustre parfaitement ce principe. Une partie considérable des biogaz générés au LET de Sainte-Sophie était jusqu’à récemment acheminée à l’usine Rolland, ce qui constituait une utilisation judicieuse.

À cause du projet d’Énergir, l’usine de papier recyclé Rolland, privée arbitrairement d’alimentation en biogaz, pourrait devoir retourner au gaz fossile, ce qui augmentera grandement ses émissions de GES, ou devra tout simplement cesser ses activités, entraînant ainsi de nombreuses pertes d’emplois⁠7.

Pire encore, WM, cordonnier mal chaussé, prévoit consommer du gaz naturel fossile pour produire son GNR ! Retirer un usage industriel approprié du biogaz, inciter à consommer plus de gaz naturel fossile, injecter un produit avec une étiquette « verte » dans un réseau dans lequel il restera marginal : voilà un projet pour maintenir le gaz brun et ses émissions plutôt que d’en limiter les usages.

Le projet de gazoduc Énergir/WM Sainte-Sophie a toutes les apparences d’une opération de relations publiques qui, contrairement à ses prétentions « vertes », pourrait aggraver la crise écologique. En considération des impacts négatifs pressants sur l’environnement et sur les communautés, nous vous exhortons, Monsieur le Ministre, à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à ce projet.

* Cosignataires : Katherine Massam, secrétaire générale, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ) ; Denis Blaquière, président, Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED) ; Lucie Massé, porte-parole, Action environnement Basses-Laurentides (AEBL) ; Anne-Céline Guyon, analyste climat-énergie, Nature Québec ; Patricia Clermont, Association québécoise des médecins en environnement (AQME) ; Stéphanie Harnois, Fondation David Suzuki ; Sylvie Clermont, écocitoyenne, Mouvement d’action régional en environnement (MARE) et membre de la Coalition verte ; Marie-Claude Beaulieu, mère au front pour Nicholas et Frédérique ; Alexandre Richard, citoyen ; Arnaud Theurillat-Cloutier, travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) ; Patrick Bonin, Greenpeace Canada

1. Consultez le rapport du BAPE sur le projet d’Énergir

2. Consultez le dossier du projet

3. Consultez le rapport du BAPE sur le projet d’agrandissement

4. Consultez la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles

5. Consultez un rapport d’inventaires biologiques

6. Consultez un rapport de recherche sur le gaz naturel renouvelable

7. Lisez « Projet d’Énergir et de Waste Management à Sainte-Sophie : l’usine Papiers Rolland “en péril” 

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