Comment planifier la transition écologique au Québec après la pandémie
M. Paul Bibeau, de Repentigny, compare deux plans de relance économique post-covid et constate qu'une des approches, plus démocratique et axée vers les besoins de la population, serait à prioriser.
Comment planifier la transition écologique au Québec après la pandémie
Cette semaine j’ai fait la lecture de deux articles fort intéressants sur les orientations possibles de la reprise économique suite à la pandémie. Le premier, intitulé L’heure de la planification écologique et rédigé par Cédric Durand et Razmig Keucheyan, est paru dans Le Monde diplomatique de mai 20201. Les auteurs y proposent une planification axée sur cinq piliers.Le premier de ces piliers impose le contrôle public de l’investissement et du crédit, l’arrêt du financement et la fermeture des industries polluantes, puis un investissement massif dans la transition écologique, le tout reposant sur une refondation des services publics en fonction des besoins réels de la population inspirée du New Green Deal.Le deuxième prévoit de garantir un emploi aux travailleurs et travailleuses touchés par la fermeture des industries polluantes afin de bien organiser la décroissance et d’assurer l’utilisation optimale des ressources naturelles.Le troisième repose sur une relocalisation de l’économie qui remettrait en cause les traités de libre échange, et assurerait la promotion d’un protectionnisme solidaire.Le quatrième pilier de la planification écologique est la démocratie, mais une démocratie participative reposant sur des mécanismes tels que des conférences de consensus, des jurys citoyens ou des budgets participatifs. J’ajouterais qu’il faudrait aussi sûrement nationaliser les GAFA et autres géants du Web afin de réorienter l’économie en fonction de besoins réels de la population.Enfin, le cinquième pilier est celui de la justice environnementale. Selon les auteurs de l’article, à l’écologie conservatrice qui risque de vouloir reprendre le contrôle après la pandémie, il faut en opposer une autre qui active tous les leviers de l’État afin de réaliser la transition et, par la même occasion, de démocratiser l’État lui-même.Le deuxième article, intitulé ironiquement La reprise passera par la Banque de l’infrastructure du Canada et rédigé par Pierre Dubuc, est paru dans l’Aut’journal2. L’auteur y dénonce l’approche que veut adopter le Canada pour préparer l’après-crise. Il souligne notamment que la banque en question, créée par le gouvernement Trudeau en 2017 et dirigée par Michael Sabia, ex-pdg de la Caisse de dépôt et placement du Québec, fait appel à des investisseurs privés et institutionnels, notamment la Norge Bank de Norvège, le plus important fonds souverain au monde, le groupe Olayan de l’Arabie Saoudite, le holding Temasek de Singapour, ainsi que l’Autorité monétaire de Hong Kong .L’ensemble des participants représentent des actifs d’une valeur de 21 trillions de dollars. Selon Michael Sabia, « pour des investisseurs spécialisés dans le long terme, les offres d’investissements dans les infrastructures ne sont pas faciles à trouver aujourd’hui; un investissement stable avec un retour entre 7 et 9 % avec peu de risques de pertes – c’est exactement ce dont nous avons besoin pour répondre aux besoins à long terme de nos clients. » Selon l’auteur, advenant qu’un projet soit déficitaire, ce serait ainsi le gouvernement fédéral qui devrait prendre le relai et rembourser l’investisseur privé. Une réserve de 21 milliards est d’ailleurs prévue à cet effet. Ce serait là, d’après certains, une « révolution dans la façon dont sont financées nos infrastructures »! Au Québec, le fédéral ne détient que 2 % des infrastructures, alors que 95 % sont pris en charge par Québec et les municipalités. Ainsi, comme le souligne l’auteur, quand le gouvernement voudra relancer l’économie au moyen de grands travaux d’infrastructures, comme le souhaite le Premier ministre Legault, il n’aura donc d’autre choix que de contacter Michael Sabia. Le Réseau électrique métropolitain, le REM, le plus gros projet de privatisation de transport public du Québec, est déjà financé par la Banque d’infrastructure avec la Caisse de dépôt et placement, et les coûts ne cessent d’augmenter. Normalement une telle infrastructure devrait être détenue par le secteur public.Cette vision axée sur la privatisation de nos infrastructures mise de l’avant par le gouvernement Trudeau va mettre en péril notre capacité de gérer notre économie au profit d’institutions étrangères.La privatisation des CHSLD et la réforme des structures de l’ex-ministre de la santé, M. Barrette, ont mis en lumière les faiblesses structurelles de notre système de santé au Québec. Des investissement massifs devront être faits, notamment pour augmenter la rémunération des travailleurs(euses) du secteur. Le financement devra être revu à la hausse au fédéral et au provincial. Il faudra aussi se tourner vers l’achat local et soutenir beaucoup plus le secteur agricole pour favoriser une agriculture biologique.Une véritable planification écologique post-pandémie, telle que préconisée dans le premier article, s’avère une avenue beaucoup plus prometteuse et démocratique pour relancer notre économie vers une transition juste et équitable.Le Front commun pour la transition énergétique, qui regroupe près de 80 organismes au Québec, pourrait être la bougie d’allumage qui donne une direction au mouvement citoyen et écologique qui s’amorce face à la reprise. Le projet Québec ZéN (zéro émission nette), initié en 2019 par le front commun, est toujours en développement et mériterait d’être diffusé largement auprès de la population québécoise. Les orientations qui seront prises dans les prochains mois au niveau du développement de notre économie devront être approuvées par la population, qui demande que les choix qui seront faits respectent une vision axée sur la transition écologique et sur une économie orientée vers la décroissance, favorisant l’achat local et biologique.Paul Bibeau, Repentigny 24 mai 2020