GAZ NATUREL ET GAZ NATUREL RENOUVELABLE?
M. Bruno Detuncq, professeur à la retraite de l'École Polytechnique de Montréal, démontre le piège que peut amener l'utilisation du terme «gaz naturel renouvelable», terme qui camoufle un potentiel de croissance de l'utilisation du gaz de schiste au lieu de l'hydroélectricité.
GAZ NATUREL ET GAZ NATUREL RENOUVELABLE?
Dès le début du XIXe siècle, les rues de Montréal, comme celles de la majorité des grandes villes occidentales, ont été éclairées à l'aide de lampes à l'huile. Le gaz prit la relève dès 1837 à Montréal pour l’éclairage public. Mais de quel gaz s’agissait-il ? C’était ce que l’on appelait à l’époque du gaz manufacturé, du gaz produit à partir du charbon. Ce gaz a ensuite été utilisé pour chauffer les bâtiments, fournir de l’énergie aux industries et bien d’autres usages. Le gaz manufacturé avait cependant de gros défauts : il contenait de l’hydrogène, ce qui le rendait très explosif, et du monoxyde de carbone (CO), ce qui le rendait très toxique.
Le gaz naturel, appelé «naturel» car non manufacturé, est extrait au moyen de puits forés dans le sol. Comme ce gaz contient majoritairement du méthane, mais pas d’hydrogène ni de CO, il est beaucoup moins dangereux à l’usage. Il fait son apparition à Montréal en 1958. Au départ, le gaz naturel provenait de l'État du Tennessee et transitait par l’Ontario. Quelques mois plus tard, c’est de l’Alberta qu’il provient. Le gaz manufacturé a donc été éliminé. Le réseau de distribution de gaz naturel s’est grandement développé au Québec comme partout en Amérique du Nord, mais depuis quelques années de nouveaux enjeux sont apparus. En Amérique du Nord, la majorité des champs de gaz naturel conventionnel sont épuisés ou à la veille de l’être, et seul demeure le gaz non conventionnel (gaz de schiste).
Depuis longtemps, les municipalités sont confrontées à un problème grandissant : la gestion des déchets domestiques. Plus la population et la consommation augmentent, plus la quantité de déchets s’accroît. L’élimination par incinération a été une méthode utilisée à Montréal durant une longue période, de 1931 à 1993, mais cette façon de faire entraînait une importante pollution de l’air. L’enfouissement est l’autre méthode utilisée, mais cette technique pose également son lot de problèmes environnementaux. Comment gérer écologiquement ces déchets?
Une technique ancienne, mais remise au goût du jour, fait aujourd’hui appel à une approche intégrée qui permet de produire à partir de déchets un gaz composé majoritairement, après purification, de méthane. Cette méthode produit en outre un résidu solide qui peut servir de compost pour l’agriculture. Précurseur dans ce domaine, la ville de Saint-Hyacinthe a inauguré en 2014 un centre de biométhanisation des déchets domestiques et agricoles. Cette approche permet de récupérer le maximum d’éléments encore utiles. Le gaz produit est donc un gaz manufacturé.
Mais un certain glissement de langue est apparu depuis quelques années. La compagnie Énergir (anciennement Gaz Métro) a en effet commencé à utiliser l’expression «gaz naturel renouvelable (GNR)» pour qualifier ce gaz. Là commence un problème potentiel. Le gouvernement du Québec utilise maintenant lui aussi la même expression. Or ce gaz n’a rien de naturel, il est manufacturé. Pourquoi cet amalgame de termes inappropriés?
La raison se trouve dans le règlement édicté le 26 mars de cette année stipule que « Le gouvernement du Québec a procédé aujourd'hui à l'édiction du règlement concernant la quantité de gaz naturel renouvelable (GNR) devant être livrée par un distributeur, l'établissant à 1 % de la quantité totale de gaz naturel qu'il distribue à partir de 2020, pour atteindre graduellement 5 % à partir de 2025 ».
Or ce règlement vise en fait à promouvoir le développement du réseau de gaz d’Énergir, ce qui nous éloigne de la transition énergétique nécessaire. En effet, le gaz distribué par ce réseau provient en grande partie des États-Unis ou de l’Ouest canadien, et est extrait majoritairement par fracturation hydraulique, méthode très polluante qui entraîne des émissions fugitives de méthane durant des décennies. Le gaz manufacturé sert ainsi d’alibi au développement du réseau d’Énergir, et on peut craindre que dans certains cas cette énergie émettrice de GES remplacera l’électricité très peu émettrice. Le développement du réseau gazier favorisera l’importation d’une plus grande quantité de gaz de schiste pour alimenter les nouveaux marchés, ce qui est une aberration en période d’urgence climatique!
La voie à suivre consiste sans contredit à utiliser le plus possible les déchets sur place. Dans les grandes villes, qui sont les plus grandes productrices de déchets, il est très facile de récupérer le méthane émis pour le brûler dans des centrales thermoélectriques et de produire ainsi localement du courant électrique. Cela se fait depuis 25 ans à l’usine de la carrière Miron à Montréal. Le biogaz ainsi manufacturé peut également être utilisé pour alimenter le moteur des camions ou des autobus urbains, pour chauffer des bâtiments, et bien d’autres usages. Dans les zones agricoles, les besoins de transport et de chauffage peuvent être comblés par des réseaux locaux. Il n’est donc pas nécessaire de développer un réseau de distribution qui nécessite l’importation de gaz de schiste de l’extérieur de la province. L’utilisation accrue de cet hydrocarbure ne peut que pénaliser davantage la balance des paiements du Québec.
Autre élément à considérer et qui a une grande importance : les différentes formes d’énergie sont en concurrence sur le marché, le prix étant souvent le facteur principal de la prise de décision. Si nous voulons travailler dans le sens d’une réduction des émissions de GES, il faut privilégier l’efficacité énergétique et l’électrification des installations. La province est bien pourvue en ce domaine, et il faut se méfier des considérations purement financières et à court terme. L’Accord de Paris est basé sur les connaissances scientifiques, ce sont ces connaissances qui doivent guider les choix pour l’avenir.
Il faut réduire la quantité de déchets organiques à la source, et non pas mettre en place une réglementation qui nous forcera à puiser toujours davantage de matière première (le gaz de schiste) pour alimenter une prétendue industrie de la récupération. Bien gérer les déchets est un grand défi qui passe par la biométhanisation, oui, mais également par une éducation des citoyens.
Le Québec est passé de la lampe à l’huile au gaz manufacturé, puis au gaz naturel, et maintenant à l’hydroélectricité. C’est un chemin vers un meilleur emploi des ressources et il ne faudrait pas revenir en arrière.
Bruno Detuncq