LETTRE AU PREMIER MINISTRE JUSTIN TRUDEAU : Suspension de l’examen du projet Énergie Est de TransCanada jusqu’au dépôt d’un dossier complet, entièrement bilingue, jusqu’à ce qu’une enquête ait fait toute la lumière sur les agissements du président de l’ONÉ et des commissaires concernés par l’affaire Charest, et jusqu’à la nomination d’une commission au-dessus de tout soupçon de partialité
Le 30 août 2016 Le très honorable Justin TrudeauPremier Ministre du CanadaChambre des communesOttawa (Ontario) Monsieur le Premier Ministre,Vous vous êtes engagé à revoir de fond en comble la façon dont se fait l'évaluation environnementale des projets au pays. Par la voix de vos ministres, vous avez annoncé un examen exhaustif des processus environnementaux et réglementaires, y compris la modernisation de l'Office national de l'énergie (ONE), et l’utilisation de règles intérimaires en ce qui a trait au processus déjà entamé pour l'évaluation du projet Énergie Est de TransCanada.Les citoyens du Québec ont accueilli avec patience et compréhension ces annonces, qui étaient pourtant loin de les satisfaire. Eux qui avaient vu avec consternation votre prédécesseur planifier et réaliser la démolition graduelle des lois et règlements de protection de l’environnement du Canada, au profit de l’industrie pétrolière et gazière, et la captation de ses institutions par cette même industrie, ont choisi de vous accorder le bénéfice du doute, jusqu’à preuve du contraire.Au nom des 130 groupes citoyens que nous représentons, nous vous disons aujourd’hui que l’heure de vérité a sonné, et que si vous omettez d’agir, à ce moment-ci, cela équivaudra à entériner un processus biaisé de manière tellement flagrante que cela mettrait en cause votre propre impartialité.L’Office national de l’énergie a manqué de rigueur et d’objectivité dans son rôle de tribunal de réglementation théoriquement indépendant en déclarant « complet » un dossier qui ne tient pas compte d’éléments capitaux tels que l’exposition du fleuve Saint-Laurent à un déversement direct ou indirect[1], le mode de traversée de la rivière des Outaouais, en amont des prises d'eau potable alimentant plus de 3 millions de personnes, sans qu’il existe de plan B pour l’approvisionnement de 23 des 26 stations de purification de la région métropolitaine[2] , et la raison réelle pour laquelle l’oléoduc inclurait une canalisation latérale vers la raffinerie Suncor à Montréal[3] : si ce projet doit en entraîner d’autres, son examen ne peut se faire sans que leurs impacts soient également étudiés.Les contacts que deux des trois commissaires chargés d’évaluer le projet Énergie Est et le président de l’ONÉ lui-même, M. Peter Watson, ont eus en janvier 2015 avec Jean Charest, qui entretenait alors des liens d’affaires avec TransCanada, viennent entacher de plus belle la crédibilité de l’Office national de l’énergie. Son intégrité est encore davantage mise en cause quand on sait que cette rencontre a été tenue en secret, alors que l’ONÉ annonçait publiquement les autres rencontres ayant eu lieu pendant la même période[4], puis niée par l’ONÉ jusqu’à ce qu’un journaliste exige des réponses précises en faisant une demande officielle d’accès à l’information[5],Le dossier des pièces de pipelines douteuses, dont l’ONE serait au courant depuis 2008, complète le portrait déplorable qui se dégage des comportements de l’Office national de l’énergie. L’ONÉ saurait depuis 2008 que des coudes et des raccords en acier installés dans des pipelines au Canada ont une plus faible résistance à la rupture. Certaines de ces pièces se trouvent sur un tronçon que TransCanada convertirait pour transporter du pétrole, si le projet Énergie Est allait de l'avant. Ce n’est toutefois qu’en février dernier, huit ans plus tard, que l'organisme de réglementation a publié un avis de sécurité à ce sujet[6].Les règles intérimaires que votre gouvernement a mises en place en janvier dernier ne suffisent manifestement pas à garantir que l’évaluation du projet Énergie Est se fera dans l’optique de l’intérêt public et non sous l’angle d’intérêts privés particuliers. Nous vous demandons par conséquent de prendre les mesures nécessaires pour que soit suspendu l’examen du projet Énergie Est de TransCanada jusqu’au dépôt d’un dossier complet, entièrement bilingue, jusqu’à ce qu’une enquête ait fait toute la lumière sur les agissements du président de l’ONÉ et des commissaires concernés par l’affaire Charest, et jusqu’à la nomination d’une commission au-dessus de tout soupçon de partialité.Dans l’espoir de recevoir une réponse favorable de votre part, nous vous prions d’agréer, monsieur le Premier Ministre, l’expression de nos sentiments respectueux.Carole Dupuis, coordonnatrice générale et porte-paroleJacques Tétreault, coordonnateur général adjointc. c. :L’honorable James Gordon Carr, ministre des Ressources naturellesL’honorable Catherine McKenna, ministre de l’Environnement et du Changement climatique[1] Étude réalisée pour la Communauté métropolitaine de Québec, Project Énergie Est : vulnérabilité et exposition de l’estuaire fluvial du St-Laurent dans la région de la CMQ, Yves Secretan, Professeur INRS-ÉTÉ, Rapport INRS R-1654, mars 2016, http://www.cmquebec.qc.ca/_media/document/1891/rapport-final-fleuve-st-laurent.pdf[2] Enseignants du Centre national de formation en traitement de l'eau, Aucun plan b pour les stations de purification du grand Montréal en cas de déversement majeur d'hydrocarbures dû à Énergie-Est, http://www.newswire.ca/fr/news-releases/aucun-plan-b-pour-les-stations-de-purification-du-grand-montreal-en-cas-de-deversement-majeur-dhydrocarbures-du-a-energie-est-580967351.html[3] BAPE, Commission d’enquête sur le projet oléoduc Énergie Est de TransCanada, section québécoise, séance de l'après-midi du 17 mars 2016, ligne 2900, réponse du promoteur à la question d’un citoyen : « Donc les coûts du latéral doivent être, si vous voulez, amortis à travers le tarif qui serait payé par Suncor. Ça fait que là, on tombe dans des discussions commerciales un peu sensibles, et puis honnêtement, je pense que Suncor possède la réponse beaucoup plus que TransCanada. » http://www.bape.gouv.qc.ca/sections/mandats/oleoduc_energie-est/documents/DT13.pdf[4] Office national de l’énergie, https://www.neb-one.gc.ca/glbl/ccct/mtngsmmr/qbc-fra.html[5] National Oberver, Canada pipeline panel apologizes, releases records on meeting with Charest, Mike De Souza, 4 août 2016 http://www.nationalobserver.com/2016/08/04/news/canada-pipeline-panel-apologizes-releases-records-meeting-charest[6] Radio-Canada, Énergie Est : des raccords problématiques dans les pipelines de TransCanada, 8 août 2016, http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/environnement/2016/08/28/002-transcanada-raccords-pipelines-troncon-energie-est.shtml