Monsieur Philippe Couillard, Premier ministre du Québec
Madame Patricia Posadas et messieurs Jérôme Motard, Martin Poirier, Benoit St-Hilaire confrontent monsieur Couillard à ses décisions incohérentes dans le dossier des hydrocarbures en lui rappelant sa formation, la documentation scientifique à laquelle il a eu accès ainsi que ses déclarations passées sur le sujet.
Monsieur Philippe Couillard, Premier ministre du Québec
Monsieur,
Nous lisions récemment dans le journal Le Soleil un article1 vous concernant, paru en mars 2013. Nous y avons appris sur votre enfance des choses qui nous ont interpellés en tant qu’humains. Nous avons pris connaissance de vos origines familiales, de la brillante carrière scientifique de votre père et de votre grand-père, et du fait que vous avez «hérité, pendant une enfance heureuse, de beaucoup de passions, de recherches intellectuelles, de curiosité et de connaissances de la part de vos parents». À la lumière de ces informations, nous avons du mal à comprendre comment une personnalité de votre stature, dotée d’une grande intelligence et ayant reçu une éducation comme la vôtre, peut décider en toute conscience de favoriser juridiquement et financièrement le développement d’une industrie des hydrocarbures qui transformera à plus ou moins brève échéance notre belle province en un gigantesque «gruyère toxique», et cela en pleine crise climatique.
Nous ne comprenons pas davantage pourquoi, Monsieur le premier ministre, après avoir signé l’Accord de Paris, vous n’avez pas donné suite à vos engagements et, en toute cohérence, fermé définitivement la porte aux projets d’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels sur notre territoire. Cela d’autant plus que vous avez déjà publiquement déclaré: «Je crois de toute façon qu'il n'y a pas grand intérêt à développer cette ressource, uniquement sur le plan économique et financier. De toute façon, l'acceptabilité sociale n'est pas là», ou encore: «l'avenir du Québec ne repose pas sur les hydrocarbures. Arrêtons de rêver de ça, cela n'arrivera pas.»
Ce ne sont pourtant pas les preuves scientifiques qui manquent pour justifier une telle décision.
En effet, vous ne pouvez pas ne pas connaître les conclusions du BAPE sur le gaz de schiste de 2015, celles de l’Évaluation environnementale stratégique de 2016, ou celles des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GEIC), qui stipulent que les États doivent cesser de soutenir le développement de tout nouveau projet d’exploitation pétrolière et gazière.
Vous ne pouvez pas non plus ignorer les conclusions du rapport de la revue médicale The Lancet de 2004 et celles de la firme Ouranos2 en partenariat avec l’Institut national de santé publique du Québec, qui dressent la liste des coûts et des conséquences sanitaires futurs du réchauffement climatique pour notre société. Il est particulièrement troublant de constater que vous, homme de science et médecin de surcroit, vous avez décidé, unilatéralement et en connaissant la gravité des risques, de donner le feu vert à une industrie qui contribuera à mettre votre population en danger.
Sur un plan strictement économique, pouvez-vous nous dire, Monsieur le premier ministre, quelle est la pertinence d’investir l’argent des contribuables dans une filière industrielle dont la rentabilité reste à démontrer? Nous vous rappelons que le Québec n’a aucune expertise dans le domaine de l’exploitation pétrolière et gazière et que le projet le plus avancé en Gaspésie, celui de Bourque, vient de passer sous contrôle de l’entreprise albertaine Pieridae Energy qui, elle, détient l’expertise. Dans un contexte de forte concurrence, les faibles réserves du Québec combinées à un coût d’exploitation exorbitant, sauront-elles faire face à l’offre ultracompétitive de compagnies comme Total, qui investit actuellement 27 milliards de dollars pour exploiter le plus grand gisement de gaz naturel au monde en Sibérie3?
À la lumière de toutes ces informations, pouvez-vous nous expliquer pourquoi un homme aussi avisé et informé que vous persiste encore à imposer un projet de société aussi dangereux et peu compétitif contre l’avis de la communauté scientifique, contre celui de nombreux experts économiques, contre une partie importante de la population, contre les communautés autochtones et contre l’avis d’un nombre croissant d’élu(e)s?
À quelques mois des élections, n’est-il pas temps de vous ranger du bon côté de l’Histoire?
Pour cela, nous vous invitons, en application du principe de précaution, à donner suite, le plus rapidement possible, à quatre revendications citoyennes particulièrement importantes. Tout d’abord, en suivant l’exemple de la Banque Mondiale, mettez un terme aux investissements dans les énergies fossiles de la Caisse de dépôt et placement du Québec et d’Investissement Québec, ainsi qu’à toute autre forme d’appui financier du gouvernement du Québec aux énergies fossiles, via le Fonds Vert, la fiscalité ou autre; soumettez la filière entière ainsi que les projets d’exploitation d’hydrocarbures à un «test climat» rigoureux afin d’en évaluer la compatibilité avec vos engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre; interdisez la fracturation hydraulique et autres procédés non conventionnels sur l’ensemble de notre territoire; et, enfin, interdisez tout forage dans les milieux hydriques.
Au-delà de toute autre considération, vous avez le pouvoir de préserver et d’enrichir notre humanité en préservant notre environnement.
Jérôme Motard, Martin Poirier, Patricia Posadas, Benoit St-Hilaire
28 février 2018