OPINION - Énergie Est : qu'en disent les agriculteurs
Par Albert GeuzaineÉnergie-Est! Un boyau hors de toutes dimensions communes : 4600 km de long, dont 700 au Québec, 1 mètre de diamètre avec un transit liquide journalier d’un million cent mille barils. Il transportera des huiles épaisses, noirâtres, visqueuses, diluées avec des produits volatiles, instables, inflammables, explosifs!Comme tout viscère vieillissant, celui-ci va se dégrader au fil du temps et laissera échapper ses huiles empoisonnées et nauséabondes. Se précipiteront dès lors des experts-soudeurs obturateurs de fissures, des experts-nettoyeurs collecteurs spécialisés en volumineuses déjections propagées jusque dans les lits des cours d’eaux voisins. Un nombre grandissant d’emplois se créera finalement au cœur même des querelles intestines entre pollueurs, payeurs, fauteurs, évaluateurs, cultivateurs sur les questions des dommages, des responsabilités, des causes des déchirures au tube gargantuesque.Le 25 novembre 2015, un sondage SOM, conduit pour le compte de Nature Québec, d'Équiterre, de Greenpeace et de la Fondation David Suzuki, avançait que 57 % des Québécois sont en désaccord avec le projet d'oléoduc Énergie Est.Le 14 mars 2016, un sondage Ekos/CBC révélait que 62 % des Québécois s'opposent au projet de pipeline d'exportation des sables bitumineux Énergie Est.Plus le temps passe, plus les citoyens sont informés, plus ils deviennent rebelles.Qu’en disent les cultivateurs sur la Rive-Nord du Saint-Laurent, dont les terres seraient traversées par le boyau?Selon des témoignages recueillis, ils ne se rangent pas dans le groupe des protagonistes de ce pipeline. De leurs propos, voici quelques-uns des enjeux relevés :
« Installer des drains sous terre alors que l'oléoduc serait présent deviendrait quasiment impossible; ce serait un inconvénient majeur car le maintien d’une bonne terre productive requiert un excellent drainage ».
« S'il y avait fuite de pétrole, le prix de la terre passerait à 0 $. Elle ne vaudrait plus rien ».
« En cas de vente, la seule présence de l'oléoduc serait un irritant important pour les acheteurs; cela diminuerait la valeur de la terre ».
« Le tuyau passerait dans plusieurs terres agricoles certifiées biologiques; comme cette certification n’est accordée qu’aux zones de culture respectueuses de l’environnement, un déversement de pétrole ferait perdre la certification ».
« Au pays, la luzerne, une plante fourragère, a été cultivée de tout temps au-dessus des pipelines. La loi C-46, adoptée en juin 2015, proscrit désormais toute activité au-dessus d'un pipeline qui puisse affecter ou remuer le sol à une profondeur de 45 centimètres. Or, les racines de la luzerne peuvent atteindre 300 centimètres de profondeur. D’office, cette clause exclut la culture de luzerne sur le boyau Énergie-Est. Les producteurs laitiers l'utilisent comme fourrage pour leurs animaux ».
« Après analyse de la nouvelle Loi C-46, Promutuel qui assure la majorité des agriculteurs du Québec, conclut qu’elle se réservera le droit de ne pas renouveler ou de ne plus émettre de police si la notion de faute lourde n’est pas exclue des contrats d’assurance. La notion de faute lourde laisse large place à interprétation pour le propriétaire TransCanada si le bris du tuyau devait être relié à des travaux agricoles en proximité ».
« Passer rapidement au-dessus du tuyau avec du matériel agricole lourd comporte un risque de bris non négligeable. Les agriculteurs perdront temps et argent dans des manœuvres adaptées ou des détours, lors des opérations de labourage et de récoltes à proximité du tuyau ».
« Les cultivateurs n’ont cure des promesses de dédommagement en cas de déversement; ils ne veulent absolument pas qu’Énergie-Est fasse passer le tuyau au travers de leurs terres ».
La situation « pétrole Alberta – Québec » a connu un renversement spectaculaire en quarante ans. Dans les années 1970, le gouvernement de Pierre-Elliott Trudeau voulait qu’un oléoduc achemine du pétrole albertain vers le Québec. À cette fin, il avait offert d'importantes subventions à Interprovincial Pipe Line (devenu Enbridge), mais l’Alberta s’y opposa parce que son pétrole se vendait à un meilleur prix aux États-Unis.
Maintenant qu’ils nagent dans l’abondance de production, les Américains ferment leur territoire au pétrole des sables bitumineux qui est reconnu pour son importante contribution à l’émission des gaz à effet de serre. Autrefois, lorsqu’il y a eu pénurie de pétrole au Québec, l’Alberta a manqué totalement de solidarité!