Politique énergétique du Québec (1 de 3) : Le gaz naturel fossile, fer de lance de la politique énergétique du Québec?

Premier d’une série de trois articles sur la stratégie gazière du gouvernement Couillard

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Carole Dupuis, coordonnatrice générale et porte-paroleJacques Tétreault, coordonnateur général adjointRegroupement Vigilance Hydrocarbures Québec

Plusieurs Québécois supposent que l’aventure gazière du Québec est de l’histoire ancienne, maintenant que le BAPE s’est prononcé contre l'exploitation du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent1 et que le premier ministre semble avoir renoncé à signer le « délabrement » de l’île d’Anticosti2. Ils se trompent lourdement.S’ils n’y voient que du feu, c’est que le gouvernement Couillard déploie sa stratégie de développement de la filière gazière pièce par pièce – à la manière d’une armée qui s’emploierait à contrôler un à un les points clés d’un territoire convoité, en se gardant bien de dévoiler son plan d’ensemble. La pertinence de ce développement n’a jamais été soumise au jugement critique de la population, malgré l’avalanche d’études techniques et de consultations sous laquelle le débat de fond a été enseveli.Sa teneur concrète n’a jamais été rendue publique non plus. Pour tenter de la cerner, il faut chercher les fils conducteurs reliant ses manifestations les plus visibles :

  • le lancement, dès mai 2014, au lendemain de l’arrivée au pouvoir du gouvernement Couillard, du Plan d’action gouvernemental sur les hydrocarbures;
  • l’absence, près de deux ans plus tard, d’un Plan de transition énergétique axé sur l’économie d’énergie, les énergies passives et les énergies renouvelables;
  • la place de choix accordée au gaz naturel dans la Stratégie maritime3 lancée à la fin de juin 2014;
  • l’adoption, en juillet 2014, du Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, qui a invalidé les règles plus restrictives adoptées par plusieurs dizaines de municipalités, dont Gaspé, concernant les distances entre les forages et les sources d’eau potable, et l’arrogance de son annonce à Gaspé par le ministre David Heurtel4;
  • l’investissement de fonds publics de 50 millions $, en septembre 2014, pour tripler la capacité de l’usine de liquéfaction de Gaz Métro GNL, dans l'est de Montréal, et son annonce par MM. Couillard et Arcand5;
  • le refus répété de MM. Couillard et Arcand, depuis le dépôt du rapport défavorable du BAPE sur le développement de la filière du gaz de schiste dans les basses-terres du Saint-Laurent, en décembre 2014, de tirer un trait sur l’exploitation du gaz de schiste, leur silence approbateur devant les représentations insistantes de l’Association pétrolière et gazière visant à implanter des projets pilotes à grande échelle dans Lotbinière et Bécancour8;
  • les 3 600 puits utilisés comme scénario de développement dans l’étude que le gouvernement a commandée l’an dernier à KPMG-SECOR, dans le cadre de ses Évaluations environnementales stratégiques, pour estimer les besoins de main-d’œuvre liés à l’exploitation du gaz de schiste dans les basses-terres du Saint-Laurent (déposée en août 2015)6;
  • le feu vert donné en août 2015 à l'usine de liquéfaction de Stolt LNGaz à Bécancour, et son annonce par le premier ministre7;
  • l’investissement de fonds publics de 6,5 millions de dollars, en septembre 2015, pour l'exploration du gaz naturel par Pétrolia en Gaspésie et le soutien donné au projet de gazoduc et de barge de liquéfaction de Tugliq qui lui est associé8;
  • l’appui de M. Couillard au projet Énergie Saguenay de GNL Québec, visant l’établissement d’une énorme usine de liquéfaction de gaz, la construction d’un gazoduc de 650 km et la construction d’un port méthanier d’exportation9.

Cet exercice mène à un constat étonnant :

Si la tendance se maintient, et ce, malgré l’urgence de nous affranchir des énergies fossiles…

Le gaz naturel fossile, souvent de schiste et extrait au moyen de la technique largement décriée de la fracturation hydraulique, sera le fer de lance de la Loi sur les hydrocarbures et de la politique énergétique 2016-2025 du Québec.

L’utilisation de ce gaz sera (faussement) présentée comme une solution « écologique » de transition, peu émettrice de gaz à effet de serre.

Le gouvernement s’appuiera sur la guerre d’usure qui a tenu lieu de processus démocratique pour prétendre (faussement) que le critère de l’acceptabilité sociale a été respecté.

Plus spécifiquement, les indices montrent qu’à moins de revirement soudain :

  • La Loi sur les hydrocarbures qui sera annoncée sous peu permettra l’exploitation des hydrocarbures au Québec. À tout le moins, les pétrolières pourront poursuivre leurs activités fortement contestées en Gaspésie et des sociétés comme Talisman, Junex et autres auront les coudées franches pour lancer leurs projets d’extraction du gaz de schiste par fracturation hydraulique dans Lotbinière et Bécancour. Ce sera la porte ouverte au forage de milliers de puits dans les basses-terres du Saint-Laurent.
     
  • La politique énergétique 2016-2025 :
     
    • sera très favorable au gaz naturel liquéfié (GNL) et les fonds publics continueront à affluer vers ce secteur;
       
    • sera très favorable, sur papier, à la transition énergétique, mais les investissements publics dans les secteurs de l’économie d’énergie et des énergies renouvelables demeureront marginaux et mal ciblés;
       
    • ne s’attaquera pas aux trois principaux obstacles aux efforts de lutte aux dérèglements climatiques : la surconsommation d’énergie; le modèle du ministère des Transports et du ministère des Finances qui subventionne le réseau autoroutier et l’automobile individuelle au détriment du transport collectif; les pratiques d’aménagement du territoire.
       

Poursuivre dans cette voie serait une erreur historique. Nous continuons donc à espérer que le gouvernement opérera un changement de cap avant les annonces qui ne sauraient tarder. SOURCES :

6 KPMG-SECOR, Besoins de main-d’œuvre liés au développement d’une industrie d’exploitation des hydrocarbures au Québec, 3 août 2015, étude réalisée pour le Ministère de l’Énergie et des ressources naturelles, http://hydrocarbures.gouv.qc.ca/documents/etudes/GECN02.pdf.
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