Sortir le gaz de tous les bâtiments
Bruno Detuncq et Emmanuel Cosgrove
Le premier écrit au nom du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ)
tandis que le second fait de même pour Écohabitation. Ils cosignent cette lettre
avec une quinzaine de signataires pour autant d’organisations*.
Le Devoir, édition du 15 septembre 2022
LIBRE OPINION
Alors que la planète en feu hurle l’urgence d’agir et que les milliards dépensés depuis trente ans pour combattre le réchauffement climatique n’ont presque rien donné, il existe une manière sûre et simple de faire fléchir rapidement la courbe des émissions de GES: sortir le gaz du Québec, en particulier dans les bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels.
En 2019, le gaz brûlé dans les bâtiments a émis 6 % des rejets totaux du Québec, soit l’équivalent des émissions annuelles de 1,6 million de voitures. Interdire l’installation et le remplacement des appareils de chauffage et de cuisson au gaz réduirait d’autant le bilan carbone du Québec en une quinzaine d’années seulement. Six pour cent, c’est plus de deux fois la baisse totale des émissions réalisée entre 1990 et 2019. Cette mesure permettrait donc à elle seule au Québec de faire un bond marquant dans sa démarche de décarbonation.
Le programme de biénergie lancé récemment par Énergir et Hydro-Québec peut sembler attrayant, mais en fait, il nous éloigne des cibles climatiques du Québec. Ce programme ne permettra qu’une infime réduction de 0,6 % des émissions d’ici 2030. En favorisant l’achat et le remplacement d’appareils au gaz, il verrouillera la dépendance au gaz jusqu’en 2050 et au-delà, au lieu de nous en libérer. Comble d’incohérence, il sera financé par les clients d’Hydro-Québec qui, à moins que la Régie de l’énergie annule sa récente décision, seront condamnés à verser une compensation à Énergir jusqu’en 2050. Un peu comme si les propriétaires de voitures électriques devaient dédommager les Petro-Canada et les Shell de ce monde chaque fois qu’elles ferment une station-service.
Une autre fausse piste est le règlement qui oblige Énergir et Gazifère à injecter 10 % de gaz naturel renouvelable (GNR) ou d’hydrogène vert dans leurs réseaux d’ici 2030. Malgré son vernis vert, ce règlement favorise en réalité la consommation d’un mélange où le gaz fossile, issu principalement de la fracturation, conservera encore la part du lion (90 %) en 2030. De plus, les bénéfices climatiques du GNR sont incertains, et sa production à grande échelle présente des risques écologiques importants.
Quant à l’hydrogène vert, sa fabrication exige d’énormes quantités d’électricité propre. L’idée de le mélanger à du gaz fossile pour répondre à des besoins énergétiques que l’électricité peut combler directement, en majeure partie, est carrément saugrenue, tant sur le plan scientifique que sur le plan économique.
Pour justifier le maintien d’un approvisionnement en gaz pour les bâtiments, on invoque souvent les limites du réseau d’Hydro-Québec face aux nouveaux besoins en énergie et en puissance qui accompagneront l’électrification tous azimuts. Il s’agit toutefois d’un prétexte puisqu’il existe des solutions zéro carbone moins coûteuses.
Pour nous assurer d’avoir suffisamment d’énergie propre pour répondre à la demande en tout temps malgré l’électrification de notre économie, il faudra d’abord faire des efforts crédibles de sobriété et d’efficacité énergétiques. Comment ?
Selon Hydro-Québec, le potentiel technico-économique de la filière de l’efficacité dans le bâtiment et les procédés industriels totalise, à l’horizon 2030, près de 25 TWh, soit près du quart de l’énergie totale actuellement fournie par le gaz. À ces gains potentiels s’ajoute la diminution de la demande associée, entre autres, à un meilleur aménagement du territoire, à une optimisation du transport et à l’éducation des clientèles. Il faudra aussi faire appel à la technologie en investissant dans la domotique et dans les systèmes intégrant thermopompe et accumulateur de chaleur.
Combinées au développement des capacités éoliennes et solaires ainsi qu’aux réseaux de chaleur et aux symbioses industrielles, ces mesures et d’autres peuvent permettre au Québec de briser sa dépendance au gaz tout en comprimant la demande totale d’énergie, en modernisant son économie et en réduisant son déficit commercial.
Depuis 2019, des dizaines de villes et d’États nord-américains ont entrepris de bannir le gaz dans les constructions neuves — notamment New York, San Francisco, le Massachusetts, Vancouver et Montréal. Nous demandons à toutes les formations politiques qui souhaitent former le prochain gouvernement du Québec de s’engager à aller encore plus loin en faisant du Québec le premier territoire en Amérique du Nord à sortir le gaz de tous les bâtiments, nouveaux et existants. Le Québec n’a pas besoin du gaz !
* La liste complète des signataires:
Jean-François Boisvert, Coalition climat Montréal
Mélanie Busby, Mobilisation environnement Ahuntsic-Cartierville
Émile Boisseau-Bouvier, Équiterre
Emmanuel Cosgrove, Écohabitation
Bruno Detuncq, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec
Carole Dupuis, Mouvement écocitoyen UNEplanète
Anne-Céline Guyon, Nature Québec
Patrick Bonin, Greenpeace Canada
Krystel Marylène Papineau, Coalition Sortons la Caisse du carbone
Patricia Clermont, Association québécoises des médecins pour l’environnement (AQME)
Marianne Papillon, Association madelinienne pour la sécurité énergétique et environnementale (AMSÉE)
Jean Plamondon, Canot Kayak Québec
Pascal Bergeron, Fondation Coule pas chez nous
Éric Gagnon, Fondation Rivières
Gordon Edwards, Regroupement pour la surveillance du nucléaire
Laurence Leduc-Primeau, Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ)
Eric Pineault, Institut des sciences de l’environnement, UQAM