Il faut sortir le gaz naturel des bâtiments
Les municipalités peuvent jouer un rôle important dans la décarbonation du Québec en soutenant la sortie du gaz naturel dans les bâtiments sur leurs territoires. À travers l’Amérique du Nord, de plus en plus de municipalités se mobilisent en faveur de l’abandon des hydrocarbures, et plus spécifiquement du gaz naturel, dans les bâtiments.
Aux États-Unis, plusieurs villes ont déjà interdit le raccordement des nouveaux bâtiments au réseau gazier. Plus près de nous, le leadership est venu au printemps 2022 de la Ville de Montréal, qui s’est engagée à exiger que tous les bâtiments neufs soient « zéro émission » d’ici 2025.
Du point de vue des politiques climatiques, l’enjeu est majeur. Le gaz naturel est responsable de 14,3 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) au Québec. Encore bien présent pour chauffer les espaces et l’eau dans les bâtiments québécois, il représente 8 % de la consommation d’énergie dans le secteur résidentiel et 27 % dans le commercial et l’institutionnel.
En 2019, le gaz brûlé pour chauffer les bâtiments a émis 5 mégatonnes (Mt) de GES au Québec, soit 6 % des rejets totaux de GES, ou l’équivalent de ce qu’émettent 1,6 million de voitures par année. Alors que le réchauffement climatique s’accélère sous nos yeux et que le Québec a jusqu’ici raté systématiquement ses cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la sortie du gaz des bâtiments serait une manière sûre et efficace d’entamer sérieusement la décarbonation du Québec.
Le gaz distribué au Québec est à 99 % une énergie fossile, au même titre que le pétrole et le charbon. Le Québec n’étant à l’origine d’aucune production commerciale de gaz naturel, ce qu’on y consomme est importé de l’Ouest canadien et des États-Unis.
Ce gaz est principalement issu de la fracturation et Énergir estime qu’en ce moment, au moins 80 % du gaz qu’elle distribue est non conventionnel. De plus, les réserves de gaz conventionnel s’épuisant de plus en plus, la part du gaz issu de la fracturation hydraulique augmente constamment. Les répercussions de la fracturation, notamment sur la contamination de l’eau, les émissions de gaz à effet de serre et la santé des populations, ont été largement documentées.
En 2021, le gaz naturel renouvelable représentait moins de 1 % des volumes de gaz distribués au Québec. Le peu de gaz renouvelable disponible au Québec ne devrait pas concurrencer l’électrification des usages, mais devrait plutôt être réservé pour les secteurs difficilement convertibles à l’électricité.
Les solutions existent et sont maintenant matures pour électrifier complètement le chauffage des bâtiments sans surcharger le réseau durant les périodes de forte demande. On peut penser notamment à l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, à la tarification incitative visant la sobriété dans la consommation, aux thermopompes à climat froid, aux accumulateurs thermiques et à la géothermie.
Aujourd’hui, il est plus que temps d’abandonner le gaz naturel pour la consommation énergétique des bâtiments en imposant, dans les plus brefs délais :
1. L’interdiction de tout raccordement et de toute installation d’un appareil de chauffage au gaz dans les nouvelles constructions résidentielles, commerciales et institutionnelles, et ;
2. L’abandon progressif des appareils de chauffage au gaz pour l’ensemble du secteur du bâtiment.
La décarbonation des bâtiments par la sortie du gaz naturel se présente comme un chantier incontournable de la transition énergétique au Québec. Les municipalités auront à jouer un rôle déterminant dans l’évolution du cadre réglementaire québécois. Un rapport exposant leur pouvoir d’agir en la matière a d’ailleurs été rendu public mardi. Ainsi, les municipalités possèdent les compétences et doivent agir afin d’emboîter le pas au leadership pris par Montréal, à qui il reste à confirmer ses intentions en adoptant une réglementation ambitieuse.
Les engagements actuels du gouvernement ne suffisent pas. Alors que le Québec s’est engagé à la carboneutralité d’ici 2050, il faut éviter que nos politiques énergétiques nous enferment dans un verrouillage carbone. Nous demandons au gouvernement d’être proactif et de soutenir publiquement et financièrement les municipalités engagées pour le climat qui prendront les moyens pour réduire et éliminer rapidement les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments.
Anne-Céline Guyon, chargée de projet, experte climat à Nature Québec
et Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, avec quinze environnementalistes et universitaires*.
* Ont aussi cosigné ce texte:
Émile Boisseau-Bouvier, analyste des politiques climatiques, Équiterre
Jean-François Boisvert, président, Coalition climat Montréal
Charles Bonhomme, responsable affaires publiques et communications, Fondation David Suzuki
Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie, Greenpeace Canada
Hugo Cordeau, étudiant au doctorat en sciences économiques, Université de Toronto
Philippe Duhamel, coordonnateur général, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ)
Carole Dupuis, porte-parole, Mouvement écocitoyen UNEplanète
Ursula Eicker, professeure à l’Université Concordia, Codirectrice de la Chaire d’excellence en recherche du Canada Next Generation Cities Institute
Simon Langlois-Bertrand, associé de recherche, Institut de l’énergie Trottier
Jacques Lebleu, porte-parole, Mobilisation environnement Ahuntsic-Cartierville (MEAC)
Laurence Leduc-Primeau, coordonnatrice, Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ)
Krystel Marylène Papineau, responsable, Coalition Sortons la Caisse du carbone
Éric Pineault, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement - UQÀM, Directeur scientifique du Pôle sur la ville résiliente
Emmanuel Rondia, directeur général, Conseil régional de l’environnement de Montréal
Martin Vaillancourt, directeur général, Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ)