Bay du Nord : le test

Bay du Nord : le test


C'est le chaos dans la cryosphère. Le mercure fracasse tous les records aussi bien dans l’Arctique que dans l’Antarctique; on observe jusqu'à 40 degrés C au-dessus de la normale pour la saison! Le tsunami des changements climatiques, avec les inondations, les ouragans, les sécheresses et les feux de forêts, nous tombe dessus comme la misère sur le pauvre monde. L'humanité doit réagir au plus vite. Malheureusement, nos gouvernements, éperonnés par le lobby pétrolier, prennent les mauvaises décisions, comme dans l'octroi de subventions aux énergies fossiles ou l'achat de l'oléoduc Trans Mountain. Dans le cas du projet de « Bay du Nord » au large de Terre-Neuve, voici qu'Ottawa hésite encore à exercer le principe de précaution. Le gouvernement fédéral devait trancher le 4 mars; la décision est reportée de  40 jours!

Le géant norvégien Equinor et son partenaire Husky veulent faire approuver le projet « Bay du Nord ». S'il devait être approuvé, cela impliquerait le forage d'une quarantaine de puits de pétrole par 1 200 m de fond dans le « Flemish Pass Basin » situé à environ 500 km à l'est de la capitale Saint-Jean de Terre-Neuve. Ce projet permettrait d'extraire 200 000 barils par jour, soit 73 millions de barils annuellement. Comme chaque baril projette 430 kg de carbone dans l'atmosphère, ce projet ajouterait 30 millions de tonnes de carbone dans l'atmosphère lorsque le pétrole sera éventuellement brûlé!  


Allo! Le respect de l'Accord de Paris!  Est-ce que les promoteurs et les politiciens en faveur de « Bay du nord » ont lu le 6e rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat  (GIEC)? Si oui, ils y verraient que la fenêtre d'opportunité pour limiter le réchauffement climatique se referme rapidement. Sont-ils conscients que l'Agence Internationale de l'Énergie(AIE) a écrit qu'il faut «... renoncer immédiatement à tout nouveau projet d’exploitation d’énergies fossiles...» , si on veut avoir une chance de limiter le réchauffement à 1,5 degré C? Depuis 1974, la mission de ce puissant organisme était de conseiller les pays au sujet de leur approvisionnement en énergie; maintenant, elle conseille à ses États membres de viser «...la neutralité carbone face au dérèglement climatique...».


Comme d'habitude, divers politiciens ainsi que le lobby pétrolier brandissent l'épouvantail des « jobs, des jobs et des jobs ». Selon eux, il faut aller de l'avant, sinon les travailleurs de Terre-Neuve vont mourir de faim, victimes d'un chômage chronique. Mais, au sens figuré, négliger les avertissements de la science et du GIEC peut aussi coûter « un bras ». Les politiciens fédéraux et terre-neuviens ont la mémoire courte. Pendant des décennies, ils avaient encouragé la surpêche à outrance; par conséquent, les stocks de morue se sont effondrés parce qu'on avait ignoré tous les signaux d'alarme. En 1992, ils ont dû se rendre à l'évidence et ordonner un moratoire sur la pêche. Du jour au lendemain, 30 000 pêcheurs et travailleurs de l'industrie halieutique ont perdu leur gagne-pain. Lorsqu'on ignore la science, la réalité nous rattrape; et pour affronter cette catastrophe prévisible, les travailleurs de l'époque n'ont pas pu bénéficier d'une période de transition.


Contrairement à 1992, il faut agir AVANT la catastrophe en refusant ce projet qui aggravera les changements climatiques. Comme le suggère la professeure Angela Carter, Terre-Neuve est en bonne position pour faire la transition. En 2021, la province a subventionné l'industrie pétrolière au montant de 82,6 millions tandis que le fédéral y ajoutait 320 millions. L'astuce, c'est d'utiliser ces 400 millions efficacement. Il ne faut pas oublier qu'entre 2014 et 2019, environ 33 000 « jobs » du secteur des énergies fossiles canadiennes ont disparu. Cependant, un rapport du « Center for Future Work » affirme que pour chaque emploi perdu dans le secteur pétrolier, il y a en a eu 42 de créés dans d'autres secteurs. Pourquoi ne pas injecter ces 400 millions dans une transition juste pour les travailleurs terre-neuviens? Ce serait des emplois de « demain », pas des emplois « d'hier »! Et, en prime, pas de danger d'un autre accident comme celui de la plateforme Deep Water Horizon qui a eu une incidence désastreuse sur les pêches du golfe du Mexique depuis 2010!


Au début d'avril, le cabinet de M. Trudeau doit trancher la question. C'est un test crucial pour le ministre de l'Environnement, M. Steven Guilbeault; il doit convaincre ses collègues de rejeter « Bay du Nord » et d'utiliser les 320 millions du fédéral pour implanter une transition vers une économie faible en carbone. Tout le sérieux du gouvernement fédéral est sur la table; celui-ci doit enfin passer des belles paroles aux actions concrètes. Il ne faut pas s'engager désastreusement dans un autre fiasco économique et écologique comme celui de l'achat et de la réfection de l'oléoduc Trans Mountain.


Gérard Montpetit

membre du CCCPEM (Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l'environnement maskoutain)

le 30 mars 2022


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