Crises environnementale et climatique : que fait le milieu de l’éducation?
Enseignante dans une école primaire au Québec, j’ai fait l’objet, en juin 2021, d’une mesure disciplinaire pour avoir demandé d’inscrire à l’ordre du jour de la prochaine rencontre du Conseil de participation des enseignants (CPE) un point sur les actions qui pourraient être menées dans la communauté scolaire pour lutter contre la crise climatique. Le texte de la mesure disciplinaire spécifie que je dois «cesser immédiatement ces interventions non pertinentes ou hors sujet» sous peine de sanctions plus sévères, et la direction de l’école m’interdit formellement de parler de «mes intérêts personnels» avec mes collègues, au conseil d’établissement, au CPE ou en assemblée générale.
Le déni
Cette fermeture du milieu scolaire face aux enjeux climatiques est difficile à comprendre alors que les scientifiques multiplient les appels à modifier radicalement et de toute urgence notre mode de vie si nous voulons réussir à conserver une Terre habitable. Le fait que le milieu de l’éducation ne se sente pas interpellé et disposé à agir vigoureusement pour s’attaquer aux problèmes de la planète relève du déni et masque un malaise qu’il faudrait parvenir à décoder.
Une culture à changer
On peut évoquer la lourdeur de la tâche des enseignant.es, qui portent la responsabilité d’une réussite éducative fondée sur les valeurs du système économique. Ajoutons la tendance à la marchandisation de l’éducation et le recours à des contenus pédagogiques standardisés qui nous éloignent de la créativité et de l’engagement pédagogique nécessaires pour transformer la culture scolaire et sociale. Mais l’inaction face aux crises environnementale et climatique marque peut-être davantage une sorte d’incrédulité devant l’ampleur et la complexité des enjeux, et un sentiment d’impuissance qui brouille notre réflexion et nous laisse comme paralysés.
La peur suscitée par cet avenir chaotique est difficilement supportable lorsqu’aucune stratégie n’est proposée pour agir efficacement contre la menace anticipée. C’est sans doute pourquoi la plupart des écoles préfèrent s’en tenir à la sensibilisation et aux petits gestes comme le recyclage et le compostage, qui donnent bonne conscience mais dont l’impact réel sur le bilan carbone reste négligeable.
Un monde à repenser
Comme l’écrit Andri Snaer Magnason, le problème des gaz à effet de serre est la grande épreuve que l’humanité doit surmonter. La perspective d’un chaos climatique impose à notre génération de repenser tout ce que le 20e siècle a produit : nos façons de nous alimenter, de nous loger et de nous déplacer, notre consommation, nos technologies et les valeurs de notre système d’éducation. Elle impose de mettre de côté nos envies personnelles et notre désir de développement pour nous interroger sur ce que nous devons faire pour assurer la continuité du vivant. Loin d’être un renoncement, agir pour la transformation sociale est un chantier fascinant pour le monde de l’éducation.
Pour une véritable stratégie d’éducation
Face à la pandémie de la Covid, comme dans le dossier de la lutte contre l’intimidation à l’école, le milieu scolaire a montré qu’il pouvait réagir rapidement et de manière extrêmement efficace pour relever d’écrasants défis lorsque les enjeux sont pris au sérieux et que la volonté politique est au rendez-vous. Dans le contexte critique que nous vivons, il est inadmissible que le gouvernement du Québec refuse toujours d’adopter une véritable stratégie d’éducation en matière d’environnement et de lutte aux changements climatiques. Des solutions existent. Des initiatives isolées voient le jour dans les écoles pour amener les jeunes à devenir des acteurs de changement. Nous connaissons les meilleures pratiques. Mais les équipes-écoles sont encore trop souvent privées des ressources pédagogiques et de la formation nécessaires pour aller au-delà de la recherche de performances cognitives chez leurs élèves et se tourner résolument vers des actions concrètes dans leur milieu pour la protection du territoire et de la vie.
Dans les facultés d’éducation, on apprend aux futurs enseignants que l’école est une communauté d’apprentissage. Les échanges de savoirs circulent entre les élèves et les enseignants, mais aussi à travers les équipes-écoles, dans les familles et la communauté, pour favoriser une ouverture sur le monde et le développement d’une société démocratique, juste et inclusive. Ce modèle est bien différent du système hiérarchisé, cloisonné et autoritaire qu’on retrouve dans les milieux de travail. La perception quasi anecdotique de la crise climatique dans le système scolaire est un symptôme de la société actuelle et ne peut plus perdurer. L’éducation ne devrait-elle pas assurer l’avenir et le bonheur de nos enfants? Une chose est certaine : ce n’est pas en fermant les yeux sur les crises annoncées que les acteurs de l’éducation pourront aider à les surmonter.
Louise Morand
Comité vigilance hydrocarbures de L’Assomption