Crise climatique et peuples autochtones, quand la nouvelle déraille
Mme Katherine Massam, de Très-Saint-Rédempteur, commente un article publié dans le journal La Presse offrant un point de vue réducteur et biaisé de la manifestation en soutien au peuple Wet’suwet’en contre le projet Coastal Gaslink, qui a eu lieu à Montréal en novembre dernier.
Dans son article publié le 10 janvier dans le journal La Presse, le journaliste Philippe Teisceira-Lessard a choisi un langage bien émotif et simplificateur pour relater les manifestations qui ont eu lieu à Montréal en novembre dernier, en appui à la nation Wet’suwet’en, qui lutte contre le projet de gazoduc Coastal GasLink sur son territoire non cédé en Colombie Britannique. Le journaliste a omis de mentionner que les chefs Wet’suwet’en avaient demandé à la population canadienne de manifester son soutien par des actions non violentes.
Violence contre le territoire et le peuple Wet’suwet’en
Je suis contre tout acte de violence, y compris les menaces. Je suis aussi une citoyenne qui s’oppose, comme une large portion de la population canadienne, à la construction de Coastal GasLink en Colombie-Britannique parce que ce pipeline doit transporter du gaz de schiste à travers un territoire autochtone et nuire aux communautés locales qui dépendent de cette terre pour l’accès à la nourriture et à l’eau. C’est d’autant plus préoccupant que le promoteur, TransCanada, a été critiqué à plusieurs reprises pour avoir bafoué la réglementation environnementale.
Il faut également garder à l’esprit que le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique a envoyé à plusieurs reprises des membres de la GRC, équipés d’armes militaires, sur le territoire Wet’suwet’en, arrêtant des manifestants, vandalisant leurs installations et pénétrant par effraction dans les maisons. La GRC applique les injonctions accordées à Coastal GasLink par les tribunaux provinciaux, qui sont généralement complaisants pour les entreprises.
Un projet toxique
Le gaz de fracturation est très nocif pour l’environnement, en raison du méthane et de nombreux autres produits toxiques qui sont rejetés dans l’atmosphère et dans l’eau lors de l’extraction et tout au long de la chaîne d’exploitation. Le méthane est un gaz à effet de serre 87 fois plus puissant que le C02 (pendant les 20 premières années de son cycle de vie dans l’atmosphère) et les forages de fracturation sont responsables de 40 à 60 fois plus de fuites de méthane que les forages de gaz naturel conventionnel.
Nous le savons maintenant, les hausses de température reliées aux gaz à effet de serre (GES) menacent notre environnement, notre économie et notre santé. Les effets de la dévastation climatique ne sont qu’à leurs débuts mais causent déjà bien des morts et des pertes économiques. Le projet Coastal GasLink ouvre le marché à davantage de fracturation hydraulique et à une dépendance accrue au gaz, alors que ces investissements pourraient être dirigés dans une filière d’énergie propre.
Ne semble-t-il pas ironique que, tandis que les Britanno-Colombiens paient les coûts humains et économiques d’événements climatiques dévastateurs (canicules mortelles, incendies et inondations), leur gouvernement dépense librement des fonds publics pour attaquer des manifestants autochtones dans le but de soutenir une puissante entreprise et un projet qui perpétuera la dégradation du climat?
Déni du droit des peuples autochtones
L’article du journal La Presse ne rend pas justice à la question du consentement du peuple Wet’suwet’en. La construction de Coastal GasLink fait fi des droits des peuples autochtones. En 1997, la Cour suprême du Canada a reconnu l’autorité des chefs héréditaires sur les terres Wet’suwet’en, ainsi que le fait que ces terres n’ont jamais été cédées. Ce n’est pas une coïncidence si TransCanada a choisi d’obtenir l’approbation UNIQUEMENT des conseils de bande. Les conseils de bande des Premières Nations sont des entités créées par les colonisateurs qui ont condamné les Premières Nations à vivre dans des réserves. C’est d’ailleurs en raison de l’opposition des chefs traditionnels que la Cour suprême du Canada a reconnu que le consentement n’a pas été obtenu pour ce projet.
Après que les protestations contre Coastal GasLink aient donné lieu à des blocages de voies ferrées dans tout le pays en 2019, le gouvernement fédéral avait réagi en promettant de respecter pour la première fois la décision de la Cour suprême de 1997. Cependant, ce « nouvel » accord n’inclut pas le projet Coastal GasLink.
Une information biaisée
Je n’ai aucune idée de qui sont les « anarchistes » que mentionne Philippe Teisceira-Lessard dans son article, ni d’où vient cette information qu’ils seraient « d’extrême gauche ». Peut-être le journaliste de La Presse devrait-il garder à l’esprit que nous vivons une urgence climatique qui, selon le GIEC, la NASA et toutes les universités accréditées, entraînera la dévastation de nos populations et de notre économie, à moins de changer radicalement notre mode de vie et notre économie pour éliminer notre surconsommation et notre dépendance aux énergies fossiles. Dans tous les conflits, les actions de certains vont déborder, surtout lorsque les gouvernements restent sourds aux préoccupations de la population et aux droits des Premières Nations.
Monsieur Teisceira-Lessard aurait fait preuve de professionnalisme s’il avait replacé les événements entourant la manifestation à Montréal dans leur véritable contexte, comme l’ont fait les autres grands médias au pays. Plutôt que de laisser entendre que les Wet’suwet’en sont soutenus par des casseurs et des anarchistes, peut-être que la bonne nouvelle à rapporter aurait été plutôt le refus de la RBC de remettre en question ses investissements dans des projets de combustibles fossiles destructeurs du climat. Ou encore, le non-respect par les gouvernements canadien et britanno-colombien des lois encadrant la souveraineté des Premières Nations. Ou encore, le soutien aux Wet’suwet’en de la part des citoyens conscients de la gravité de la crise climatique qui n’annonce rien de moins que la mort et l’effondrement. Serait-ce trop attendre de la part d’un grand journal montréalais?
Katherine Massam
Très-Saint-Rédempteur