La fusion nucléaire, mythe ou réalité?

DES UNIVERSITAIRES / Le rêve porte l’espoir, mais le rêve se doit d’être réaliste pour ne pas décevoir, et ce, particulièrement en ce qui a trait à l’énergie, puisqu’il s’agit d’une composante essentielle de la vie moderne. Majoritairement, on souhaite la fin des énergies fossiles à cause de leurs méfaits. Les énergies renouvelables se développent, mais le rythme est-il assez rapide?

Du côté nucléaire, la fission nucléaire (uranium) est une avenue impliquant de nombreux risques, alors que la fusion nucléaire est à ses débuts et de grandes incertitudes demeurent. Analysons ce dernier enjeu.

La fusion nucléaire

La fusion nucléaire est le processus qui se déroule au sein de toutes les étoiles qui, à partir d’un nuage d’hydrogène sur lequel agit la gravité, entraîne une augmentation de densité, de pression et de température permettant de fusionner les atomes d’hydrogène pour fabriquer tous les autres éléments chimiques du tableau périodique, comme le carbone, l’azote, l’oxygène et le fer. La fabrication de ces éléments dégage une quantité énorme d’énergie, qui se disperse dans l’Univers sous forme de rayonnement, et qui répond à la fameuse équation d’Einstein, E = mc2.

C’est ce principe que l’on espère reproduire en laboratoire, mais il s’agit d’une tâche très complexe et très délicate. Plusieurs approches ont été mises à l’essai depuis les années 40. Le principe est sensiblement le même: il faut augmenter la température des éléments réactifs à près de 100 millions de degrés Celsius, température extrême permettant de fournir aux réactifs l’énergie nécessaire pour leur permettre de fusionner, donc de vaincre leur répulsion naturelle. Ce niveau de température excessivement élevé nécessite des quantités d’énergie gigantesques afin de confiner les éléments en réaction pour qu’ils ne soient jamais en contact avec les parois qui les entourent; autrement l’installation sera détruite.

Les éléments requis pour la fusion

Les éléments chimiques qui sont utilisés sont le deutérium et le tritium, deux isotopes de l’hydrogène, dont la fusion donnera un noyau d’hélium. Le deutérium provient de ce qui est appelé l’eau « semi-lourde » composée d’un atome d’oxygène, un atome d’hydrogène et un atome de deutérium. Cette eau semi-lourde est puisée dans les océans où sa concentration est d’une particule pour 3 200 particules d’eau « légère » (normale). Il faut donc pomper de très grandes quantités d’eau de mer, procéder à la séparation de l’eau semi-lourde du reste, briser cette eau pour récupérer le deutérium, généralement par électrolyse. Tout ce processus est très coûteux en énergie.

Le tritium se trouve également dans l’eau de l’océan, mais sa concentration est beaucoup plus faible, une partie par plusieurs millions de parties, donc ce n’est pas la voie à suivre. Actuellement, le tritium utilisé provient des rejets de centrales nucléaires de fission.

Les conditions

Pour amener le deutérium et le tritium à fusionner, il y a plusieurs méthodes. Celle décrite ici est le confinement magnétique, une technique utilisée dans le projet international ITER dans le sud de la France. Les réactifs sont enfermés dans une espèce de très gros beignet entouré d’un champ magnétique très puissant. Pour produire ce champ magnétique, il faut utiliser des électroaimants fabriqués à l’aide de matériaux supraconducteurs, dont certains sont difficiles à produire, comme le niobium. Ensuite, il faut abaisser les températures de ces électroaimants près du zéro absolu, soit -273°C. Tout ce processus demande beaucoup d’énergie. Ce système est appelé Tokamak, qui provient d’un acronyme russe qui signifie « chambre toroïdale avec bobines magnétiques ». Ce qui est peu connu, c’est que l’Institut de recherche en électricité du Québec (IREQ), avec d’autres partenaires, a débuté en 1981 l’installation d’un tokamak à Varennes, au sud de Montréal, mais le projet a été mis de côté quelques années plus tard suite à un différend entre le fédéral et le provincial.

Un point de bascule à franchir

Où en est le développement de la recherche actuellement? Le point de bascule permettant de produire plus d’énergie que celle nécessaire pour provoquer la fusion est loin d’être atteint, que ce soit pour la fusion elle-même et encore moins pour le cycle de vie de l’ensemble du procédé, ce qui est le critère essentiel.

Advenant que l’on réussisse à franchir le point de bascule, on aura alors une énergie excédentaire. Que faire de cette énergie, qui se trouve sous forme de chaleur? Produire un courant électrique par l’intermédiaire d’un cycle de turbine à vapeur, appelé dans le jargon scientifique, cycle de Rankine. La turbine à vapeur entraîne une génératrice qui permettra de produire l’énergie électrique utile. Comme rien n’est parfait, des pertes énergétiques s’immiscent à toutes les étapes de ces transformations.

Encore bien des étapes restent à franchir avant d’être en mesure de déclarer victoire et d’installer des centrales électriques utilisant la fusion nucléaire. D’ailleurs, les physiciens ne s’entendent pas sur la faisabilité d’un tel projet; certains, optimistes, parlent de quelques années, d’autres émettent l’hypothèse de décennies de travail avant la réussite, et les plus pessimistes ont peu de confiance sur les chances de succès tant les défis sont grands.

Développement de cette filière

Depuis le début des travaux sur cette filière énergétique, ce sont les gouvernements, ou des organismes qui leur sont dépendants, qui ont créé les laboratoires de recherche dans le domaine. Mais, depuis quelques années, des compagnies disposants de moyens financiers importants se sont mises de la partie. Cela va-t-il accélérer les développements? Difficile à dire en ce moment, mais une chose est certaine, c’est que ces compagnies vont multiplier les annonces de réussites partielles pour continuer à attirer du financement. L’éthique scientifique va peut-être en pâtir. Les compagnies impliquées dans la recherche de nouvelles formes d’énergie sont principalement motivées par l’appât du gain; leur discours est donc à analyser avec circonspection.

Il y a encore bien d’autres problèmes et enjeux associés à la fusion nucléaire, mais mentionnons un dernier élément important: Qui pourra se permettre de telles installations, si la fusion nucléaire s’avérait fonctionnelle? Uniquement les pays riches! Ce n’est donc pas une source énergétique permettant une transition juste et équitable au niveau planétaire.

Prioriser la sobriété énergétique

Dans un contexte d’urgence climatique et de transition énergétique à court terme, il est donc raisonnable de ne pas miser sur la fusion nucléaire dans le bouquet énergétique. Les vingt prochaines années sont les plus importantes et les choix des filières énergétiques doivent prendre en compte ce qui est faisable à court terme. On peut toujours rêver, mais la réalité est contraignante. Pour l’heure, il est plus logique de prioriser la sobriété énergétique de nos sociétés et compter sur les énergies renouvelables.

Bruno Detuncq ; Professeur à la retraite de l’École Polytechnique de Montréal

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