Franchise brutale
« La vérité sort de la bouche des enfants », dit le proverbe. Ayant enseigné pendant de nombreuses années à des ados de 13 à 16 ans, je suis familier avec la franchise parfois brutale de la jeunesse; la délicatesse et la diplomatie laissent parfois à désirer, mais ils disent ce qu’ils ressentent. Lors d’une conférence préparatoire à la COP 26 de Glasgow, le PDG de la multinationale Shell, M. Ben van Beurden, a appris à ses dépens que la jeunesse a le courage de ses convictions.
En effet, pendant sa prise de parole, celui-ci faisait l’éloge de tous les efforts que sa compagnie, la pétrolière Shell, mettait de l’avant pour combattre les changements climatiques. Il y énumérait tous les superlatifs que ses experts en relations publiques lui avaient soufflés à l’oreille. Patiente, la jeune Lauren MacDonald, originaire de l’Écosse, a attendu qu’on lui cède le micro. Puis, lorsque son tour de parole est enfin arrivé, elle a dévisagé M. van Beurden et lui a dit : « Vous devriez avoir honte! ».[1]
Le portrait que la jeune activiste a fait des activités de Shell était aux antipodes de la « bouillie pour les chats » que M. van Beurden venait de décrire. Elle lui a rappelé que Shell, la 7e compagnie à émettre le plus de GES au monde, voulait développer le champ pétrolifère de Cambo, en mer du Nord, relativement près de l’Écosse. Elle lui a remis sur le nez les allégations d’Amnistie internationale qui accuse Shell de complicité active dans l’assassinat d’activistes anti-pétrole au Nigéria.[2] Et enfin, que les belles paroles de M. van Beurden étaient incompatibles avec le fait que Shell interjette appel de la décision d’une cour des Pays-Bas lui ordonnant de réduire réellement ses émissions de 45 % d’ici 2030. [3] Dans ce face-à-face sur l’estrade, la jeune MacDonald a affirmé qu’il n’était pas digne de parler lors d’une conférence sur le climat!
Puis elle a regardé M. van Beurden dans les yeux en lui affirmant : « J’espère que vous savez que nous n’oublierons jamais ce que vous avez fait … J’espère que vous savez qu’à mesure que la crise climatique deviendra de plus en plus meurtrière, vous en porterez le blâme.»[1] Elle a par la suite quitté la scène, suivie par des manifestants présents dans la salle. Un tel brouhaha est peu compatible avec l’ordre du jour et le décorum feutré d’une grande conférence internationale!
Mme MacDonald a-t-elle eu tort lors ce cette confrontation? Comme tous les jeunes nés après l’an 2000, c’est sa génération qui subira de plein fouet les effets dévastateurs des changements climatiques. Pourquoi les géants du pétrole, grands responsables des émissions, auraient-ils droit de parole dans une conférence sur le climat? Dans le meilleur des cas, ils sont en conflit d’intérêts! Avec le dernier rapport du GIEC, on n’a plus le temps pour de belles paroles creuses; il nous faut des actions concrètes![4]
Le dialogue est nécessaire; c’est la raison d’être des COP (Conference of the Parties) comme celle de Glasgow. Mais dialoguer avec des groupes qui perdront des milliards de dollars si la conférence réussit est plus qu’inutile. Elle a compris qu’avec un interlocuteur comme Shell, « dialoguer c’est se faire fourrer ». Chapeau, Mme MacDonald, pour votre franchise rafraichissante!
Gérard Montpetit
Enseignant à la retraite
4] https://www.desmog.com/2021/08/07/scientists-ipcc-climate-report-what-to-know/