Le projet de loi 69 : l’anti-Maîtres chez nous
M. Montpetit constate que le projet de loi 69 est contraire à l'esprit du « Maîtres chez nous » de l'élection référendaire de 1962 puisqu'il ouvre la porte à la dénationalisation de l'électricité au Québec.
Le projet de loi 69 : l’anti-Maîtres chez nous
En 1962, nous, Québécoises et Québécois, avons fait le choix historique lors d’une élection référendaire de nationaliser l’électricité. Le résultat de ce débat fut un pas décisif pour devenir véritablement « Maîtres chez nous ». Pendant toutes ces années, Hydro-Québec, société d’État québécoise, le gouvernement du Québec ainsi que tous les citoyens de cette province ont profité sans équivoque d’un enrichissement collectif important lié à la propriété publique de l’électricité.
Malheureusement, depuis plus de 25 ans, divers gouvernements ont choisi de répondre favorablement aux chants des sirènes du puissant lobby de compagnies privées dans des dossiers tels que les mini-barrages, les centrales au gaz du Suroit et surtout l’énergie éolienne. Ces compagnies privées sont comme des parasites qui utilisent l’excellente cote de crédit d’Hydro-Québec pour maximiser leurs profits!
Même sur le plan strictement économique, cette confiance aveugle au dogme néolibéral du privé est-elle justifiée? Présentement, nous devons payer environ 140 millions de dollars annuellement pendant 20 ans pour que la centrale privée au gaz naturel de Bécancour ne fonctionne pas. Quant au domaine de l’éolien, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) a évalué que la propriété privée de cette filière a déjà fait perdre plus de 6 milliards de dollars à la société québécoise.[1] En plus d’entraîner une perte de maîtrise de l’énergie, le développement privé de l’énergie éolienne entraîne des coûts supplémentaires très importants pour Hydro-Québec : « Ainsi le prix contractuel moyen de l’énergie éolienne en 2023 est de 9,58 ¢/kWh. Cela correspond à 9,98 G$ de coût contractuel d’acquisition de l’énergie éolienne. Le coût réel, comprenant la surproduction, est évalué à 11,18 G$ en 2023 et 22,2 G$ à l’horizon 2035. Afin d’intégrer l’énergie éolienne à son réseau, un service d’intégration éolien est fourni par Hydro-Québec Production, ce qui implique un coût additionnel pour Hydro-Québec équivalent à 1 G$ soit 0,98 ¢/kWh additionnel. »[2] Bref, dans ce « dîner de cons », les Québécois se font avoir pour des milliards de dollars!
Le 8 décembre dernier, dans sept villes du Québec,[3] de nombreux groupes et les membres du syndicat d’Hydro-Québec (SCFP) ont dénoncé le PL-69 et sa porte grande ouverte vers la dénationalisation de l’électricité.[4] Et, pour comble d’aberration, le PL 69 n’offre aucune orientation concernant l’abandon des énergies fossiles. Prétendre agir pour lutter contre les changements climatiques sans, au préalable, avoir un large débat de société pour se doter d’un plan cohérent d’allocation des ressources afin d’éliminer le pétrole et le gaz de notre consommation énergétique, c’est, le moins qu’on puisse dire, mettre la charrue devant les bœufs! C’est pourquoi, en 2023, de nombreux groupes de la société civile (dont le CCCPEM) ont exigé un BAPE générique pour discuter de l’avenir énergétique du Québec.[5]
La libéralisation du secteur énergétique est-elle une bonne idée? L’IRÉC[2] a calculé les coûts additionnels pharaoniques engendrés par cette opération. Même si, pour le moment, le PL-69 ne privatise pas Hydro-Québec, comme cela s’est fait dans d’autres provinces ou d’autres pays, ce projet de loi permet à Hydro Québec d’accueillir de nouveaux actionnaires privés et de vendre certains actifs comme des barrages et des infrastructures de transport d’électricité. Il permettrait également à des acteurs privés de produire, transporter et vendre de l’électricité de gré à gré sans passer par Hydro Québec. C’est ce qu’on peut constater avec le projet TES Canada en Mauricie. À long terme, ces conditions seront comme des métastases cancéreuses qui mèneront Hydro-Québec à sa perte.
Au Canada, la Nouvelle-Écosse [6] et l’Ontario [7] ont tenté l’expérience de la privatisation. Est-ce un succès? Permettez-moi de traduire le commentaire désabusé d’une Néo-Écossaise tel qu’elle l’a écrit à la fin d’un article dans le National Observer : « Emera alias NSPower est une compagnie américaine qui a acheté notre système public provincial d’énergie voilà quelques années et qui s’est révélé être un trou noir qui aspire nos finances vers ses actionnaires tout en fournissant un service inadéquat aux citoyens. Ils veulent présentement augmenter les tarifs de 19%… »[8]
Sans un large débat de société lors d’un BAPE générique, nous nous opposons fermement à la dénationalisation du secteur de l’électricité au Québec. Pour conserver les acquis du débat historique de 1962, qui a fait que nous soyons « Maîtres chez nous », il faut qu’Hydro-Québec demeure le seul maître d’œuvre en matière d’électricité, avec le gouvernement du Québec comme seul actionnaire de la société d’État. Hydro-Québec ne doit jamais être un simple partenaire ou un actionnaire de projets énergétiques. Au 21e siècle, le contrôle public d’une source d’énergie fiable, économique et décarbonée doit être une priorité non négociable par rapport aux bénéfices d’actionnaires lointains! Au-delà de probables hausses de tarifs, le CONTRÔLE de notre développement économique, industriel et environnemental, qui va de pair avec la propriété publique de l’électricité, est encore plus vital au moment où, au-delà du 45e parallèle, il est ouvertement question du « 51e État américain » !!!
Il faut revenir à l’essentiel : pour être « Maîtres chez nous », les gouvernements qui se succèdent à l’Assemblée nationale depuis 25 ans doivent cesser de faire semblant de prioriser le bien commun tout en privilégiant les intérêts privés. Tout comme dans le dossier du Suroit et celui du gaz de schiste, un BAPE générique au sujet de notre avenir énergétique est, comme l’ont souligné André et Philippe Bélisle, « une étape essentielle et préalable à l’amorce même d’un débat sain et éclairé, afin de bien mesurer l’ensemble des impacts sociaux et économiques et de bien évaluer les risques environnementaux. »[9]
Si le gouvernement du Québec veut continuer à marcher dans les traces des pionniers d’Hydro-Québec, tels que T.D. Bouchard et René Lévesque, il faut abandonner le PL-69 dans sa forme actuelle.
Gérard Montpetit
Membre du CCCPEM (Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain)
le 8 janvier 2025
3] https://www.lautjournal.info/20241213/pl-69-manifs-aux-quatre-coins-du-quebec
4] https://www.lautjournal.info/20241213/pl-69-bloquons-la-privatisation-de-lelectricite
5] https://www.pourlatransitionenergetique.org/demande-dun-bape-generique-sur-lavenir-energetique-du-quebec/
6] https://en.wikipedia.org/wiki/Emera
7] https://en.wikipedia.org/wiki/Hydro_One
9] André Bélisle et Philippe Bélisle (2024). La guerre des fossiles. Tome 2. Montréal : Somme toute, 2024, p. 224.