Les puits maudits

Crédit; Bernard Longpré

M. Gérard Montpetit invite les élus des municipalités où il y a un puits de gaz de schiste fracturé à prendre des précautions pour que les compagnies soient légalement et financièrement responsables de toute contamination future.

Les puits maudits

C’est en allant visiter un ami qui habite à la frontière entre La Présentation et Saint-Jude que j’ai eu une surprise de taille. Le site du puits gazier du Rang Salvail était rempli de nombreux véhicules et même d’une tour! Est-ce que je refais un vieux cauchemar? Peu après sa fracturation, les problèmes du « puits qui fuit » de La Présentation avaient fait les manchettes pour les mauvaises raisons.[1] Dès janvier 2011, le ministre de l’Environnement de l’époque, M. Pierre Arcand, avait émis un avis de non-conformité.[2] Deux mois plus tard, le gouvernement avait ordonné la fermeture définitive du puits de La Présentation car « une fuite de méthane détectée à l'extérieur de l'enceinte du puits, à une profondeur de sept mètres dans le sol, menaçait de contaminer la nappe phréatique. »[3] Et puis, la fermeture du puits aggraverait-elle la situation? Cette question devint le sujet d’une vive controverse. [4] Quatorze ans plus tard, ces activités au puits ont-elles pour objectif de tenter de le réparer pour une énième fois, ou est-ce dans le cadre de sa fermeture définitive selon le Projet de loi no 21 de 2022? [5]

Malgré mon émoi, j’opterais pour la deuxième possibilité. En gros, la Loi mettant fin à la recherche d’hydrocarbures ou de réservoirs souterrains, à la production d’hydrocarbures et à l’exploitation de la saumure (LMF)[6] révoque les licences des compagnies gazières et exige la fermeture définitive des puits et la restauration des sites. Certes, il y a bien quelques conditions à respecter sans oublier des exceptions, mais ces cas sont des détails qui n’ont pas grand intérêt pour monsieur et madame Tout-le-Monde. Enfin, malgré le manque d’acceptabilité sociale, les gazières contestent encore et toujours cette loi devant les tribunaux.

L’important à retenir, c’est que la compagnie doit avoir un plan de fermeture qui a été approuvé. À partir du moment où la fermeture du puits fracturé est déclarée conforme par le ministère de l’Environnement, la compagnie est prête à signer une entente avec les autorités conformément aux dispositions de la loi. Après la signature de ce contrat entre les parties, la compagnie remet la propriété du puits aux autorités publiques (gouvernement du Québec et/ou municipalité) qui en deviennent propriétaires. Ce document est un genre de « quittance » qui libère la compagnie de toutes responsabilités légales ou financières s’il devait y avoir des problèmes dans l’avenir. Légalement, il y a un fort risque que toute contamination future par un puits fermé soit aux frais des contribuables et de leurs gouvernants. Parfois, selon les contrats signés, le propriétaire terrien pourrait également être tenu responsable.

Le hic, c’est qu’une structure de béton et d’acier comme un puits ne dure pas éternellement. Une fois le gisement gazier fracturé, le gaz dans le schiste continue à migrer lentement dans la roche, puis il se faufile dans les fissures vers la sortie, c’est-à-dire le puits; par conséquent, la pression interne va continuer à augmenter, même si le puits est fermé depuis belle lurette. Comme le puits est bouché, ce gaz, sous grande pression, va tenter de trouver une sortie; le gaz se faufilera dans toute faille ou fissure qu’il peut trouver pour pouvoir quitter sa prison souterraine. De plus, après des dizaines d’années, la corrosion risque de multiplier les voies par lesquelles le gaz pourrait s’échapper dans le sous-sol et la nappe phréatique. Par comparaison, on pourrait dire qu’une fois que le génie est sorti de la « bouteille », il refuse de revenir dans son ancienne demeure!

C’est pourquoi les administrations municipales de la MRC des Maskoutains ET le ministère de l’Environnement ET le gouvernement du Québec doivent y penser longuement avant de signer un document légal ( quittance ) qui dégagerait les gazières de toute responsabilité, sinon ce sont les générations futures qui hériteront de ce cadeau empoisonné. Le principe de précaution devrait inciter nos administrateurs à exiger que les documents légaux contiennent des clauses qui permettent de tenir les compagnies responsables au cas où des problèmes criants devaient contaminer notre environnement dans l’avenir.

En août 2010, c’est avec son vélo que le regretté Pierre Foglia avait visité nos puits de gaz maskoutains. Avec trois articles en un mois, il avait puissamment contribué à nous faire prendre conscience de la présence prédatrice des gazières; comme métaphore, il les avait assimilées à « des oiseaux de proie ».[7] Dans l’imaginaire populaire, un oiseau de proie fonce sur sa victime, puis l’emporte pour la déchiqueter et la dévorer. Même après leur départ, il ne faudrait pas que les contrats mal ficelés permettent à ces « oiseaux de proie » d’être libérés de leurs obligations légales et financières. La réalité brutale, c’est qu’à l’intérieur des puits fermés de la MRC (et de la province), la pression du gaz continuera à augmenter. Alors, avant de signer cette « quittance », nos administrateurs doivent répondre à la question qui tue :

« Combien de temps l’acier et le béton de ces puits maudits sauront-ils résister à la corrosion inévitable? »

Gérard Montpetit

Comité Non Schiste La Présentation

le 4 août 2025

1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/524033/saint-hyacinthe-gazschiste-fuites

2] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/502552/gaz-schiste-la-presentation-citoyens-inquietude?

3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/509259/fermeture-puits-presentation?depuisRecherche=true

4] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/509698/danger-puits-presentation?depuisRecherche=true

5]https://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/lois_et_reglements/LoisAnnuelles/fr/2022/2022C10F.PDF

6] https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/R-1.01

7] https://www.lapresse.ca/debats/201008/20/01-4308518-les-oiseaux-de-proie.php

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