Zone Agtech à L’Assomption: agriculture décarbonée ou rêve et usine à gaz?

Mme Louise Morand, de L'Assomption, démontre que, loin de favoriser la transition vers l'agriculture de l'avenir, le projet de Zone Agtech dans la MRC de L'Assomption perpétue un modèle de développement agricole et industriel non durable, destructeur de l'environnement et du climat et générateur de conflits sociaux.

Zone Agtech à L’Assomption: agriculture décarbonée ou rêve et usine à gaz?

Le projet de zone Agtech, la nouvelle «Silicon Valley» des technologies dédiées à l’agriculture au Québec! Un projet d’un million de pieds carrés de nouveaux bâtiments industriels avec une serre sur le toit à L’Assomption, dans une zone géolocalisée dédiée à l’innovation.

Dans cette présentation je vais aborder le discours mythologique des promoteurs de la zone Agtech pour ensuite présenter quelques faits de la réalité de la filière Agtech. Je vais donner quelques exemples d’industries qui vont s’implanter à L’Assomption et je terminerai par un aperçu de la transition en agriculture.

Pourquoi ça nous concerne?

Voyez sur la photo la dimension du premier bâtiment dont la construction est prévue en juin 2022 à L’Assomption. Remarquez les voitures à côté de l’édifice qui semblent avoir la taille d’un grain de sable par rapport à la grosseur de l’édifice. Cet édifice avec une serre sur le toit sera chauffé au gaz en hiver. C’est la biénergie électricité-gaz qui a été choisie pour le chauffage et la climatisation de ces nouveaux bâtiments.

Ce choix énergétique est incompatible avec l’urgence climatique. Un rapport du GIEC publié en avril 2022 a réitéré l’urgence de se débarrasser des énergies fossiles si on veut préserver un avenir viable pour l’humanité et toutes les espèces vivantes. «La fenêtre d’un avenir viable se referme», prévient le GIEC, et elle se referme très rapidement. Pourtant, le conseil municipal de L’Assomption a conclu une entente de confidentialité avec Énergir et refuse d’exiger un bilan carbone pour la réalisation de ce projet. On ne peut pas savoir combien de tonnes de GES seront émises par les choix énergétiques et les produits qui seront développés dans la zone Agtech et distribués dans le monde.

Discours mythologique

Qu’est-ce que c’est la zone Agtech? Les promoteurs présentent une vision idyllique de l’agriculture de l’avenir avec des vastes étendues agricoles survolées par des drones pulvérisant de l’eau ou autres produits sur les plantations. Le vocabulaire utilisé est tout aussi inspirant : «Un lieu unique qui rassemble l’ensemble de l’écosystème pour propulser l’agriculture de l’avenir». On parle de «pépinière de savoir, entrepreneuriat et d’innovation» ainsi que d’«incubation d’entreprises» (c’est moi qui souligne).  N’est-ce pas que ça donne envie d’aller y faire un pique-nique?

Le discours de légitimation de ce projet industriel fait valoir «l’indépendance alimentaire de la province, le rayonnement international» et bien sûr l’enrichissement. On veut créer «une économie plus verte et plus rentable, en plus d’offrir des solutions concrètes d’adaptation aux changements climatiques et de sécurité alimentaire».

Au-delà de ce discours, examinons quelques faits liés à la filière industrielle Agtech à L’Assomption, au Canada et dans le monde.

Du rêve à la réalité : La zone Agtech, qu’est-ce que c’est?

Le secteur Agtech est une nouvelle niche pour investisseurs qui est en plein essor au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. La définition de mission qu’en donne le programme canadien d’investissement Agtech est :

«bring together industry, academia and government to commercialize new products and processes.»

Il s’agit d’une offensive de coordination entre les entrepreneurs, les universités, les gouvernements et les financiers pour commercialiser des nouveaux produits.

Au Canada, le Canada Technology Accelerator est un programme mené par les consulats canadiens à San-Francisco, Los Angeles et Minneapolis pour favoriser l’émergence de technologies innovantes et réunir les acteurs de cette nouvelle niche industrielle. Il y a donc un phénomène d’intégration continentale de cette industrie, en ce qui concerne le Canada et les États-Unis, liée aux technologies agricoles.

Les investissements sont internationaux et incluent un grand nombre de fonds publics et privés. À L’Assomption, les entreprises peuvent bénéficier de 245 000$ en fonds de démarrage. Un peu comme dans l’émission Les dragons, c’est un petit comité qui s’occupe de sélectionner les startups selon des critères de profitabilité et de technologie. À L’Assomption c’est Cycle Momentum (anciennement ÉcoFuel) qui est le principal organisme de financement. Il rassemble un grand nombre de fonds dont il serait intéressant d’étudier la provenance.

Les produits développés dans la zone Agtech à L’Assomption sont destinés à l’exportation, à l’exception des produits des serres. Selon le maire de L’Assomption, M. Sébastien Nadeau, le secteur Agtech des Pays-Bas sert de modèle à celui du Québec. Des personnes et des actionnaires se sont beaucoup enrichis avec les industries Agtech aux Pays-Bas. Dans ce pays, le secteur de l’exportation est reconnu en tant que zone franche (zone géolocalisée où s’exerce une réglementation de complaisance, où les acteurs économiques ne sont pas tenus de se conformer aux règles fiscales et les conventions de travail du pays).

Avec les Pays-Bas, l’Australie est un autre grand acteur de l’Agtech dans le monde. La production est orientée vers l’internet des objets, l’intelligence artificielle, les chaines de blocs (sécurité des systèmes informatiques liés aux transactions financières, crypto-monnaies, etc.).

Il n’y a pas de bilan carbone de cette industrie. Il y a une intégration verticale des entreprises, c’est-à-dire qu'un petit nombre de personnes sont appelées à prendre des décisions. À L’Assomption, la gouvernance est opaque et les citoyens n’ont aucun rôle à jouer dans les prises de décision. La municipalité a adopté une entente de confidentialité sur le développement économique. Il faut débourser entre 90$ et 750$ pour les curieux qui désirent s’inscrire comme membres de la communauté Agtech et recevoir le bulletin d’information.

Des exemples à L’Assomption

À L’Assomption, on veut accueillir des entreprises en robotique, en intelligence artificielle et en biotechnologies, en plus de la fabrication de bioproduits. Les serres sur le toit seront développées par l’entreprise Lufa. Les impacts sur les petits producteurs maraîchers locaux n’ont pas été bien étudiés. Il est question également de fermes d’insectes et de bassins de pisciculture qui vont utiliser beaucoup d’eau. Les entreprises pourront exercer un autocontrôle sur l’analyse de la qualité de l’eau sortant de la zone Agtech.

Parmi les entreprises retenues pour la deuxième cohorte destinée à s’implanter dans la zone, on retrouve :

.. Ground Up Data : Technologie de télécommunications souterraines et sans fil dédiée au secteur agricole

  • LBM Agtech : Fabrication de complexes intégrés d’agriculture hydroponique

  • Muclitech : Solution de gestion du climat en environnement contrôlé

  • Orisha : Solution de gestion de l’irrigation et du climat en serre misant sur la rentabilité et la simplicité

  • Symphoni (propulsé par Delight Technologies) : Technologie d’éclairage artificiel à boucle de refroidissement intégré.

N’est-ce pas qu’on attendait cette technologie depuis des décennies! On voit qu’on s’oriente vers  l’informatisation de l’agriculture et la serriculture intensive.

Deux exemples à L’Assomption :

1- : ChrysaLabs : Entreprise située à Montréal (dont le site internet est uniquement en anglais) qui œuvre en robotique. Elle développe des robots analyseurs de sol.

La construction de robots nécessite beaucoup de métaux. Cette filière va de pair avec le développement de l’industrie extractiviste, source importante de pollution,  de déforestation et de gaz à effet de serre destructeurs du climat.

Coup d’œil ironique sur ce cultivateur de blé et de lentilles en Saskatchewan qui a perdu ses récoltes en raison de la sécheresse qui sévit depuis plusieurs années dans les prairies canadiennes frappées par la crise climatique. Peut-être qu’un robot de ChrysaLabs lui aurait permis de diagnostiquer le manque d’humidité dans ses champs.

2- Larvatria : Une entreprise qui développe des larves de mouches pour décomposer le fumier des grands élevages (porcs, bœufs, volailles, etc). Le fumier est transformé en engrais organique par les larves. Il est ensuite lavé et les larves sont récupérées pour servir de protéine naturelle dans l’alimentation animale, selon une logique d’économie circulaire.

Trouvez l’erreur? Quel rapport existe-t-il entre les méga-porcheries au Québec et la transition en agriculture? Les émissions de GES issues des élevages intensifs ne sont pas prises en compte. On cherche une solution pour «verdir» l’élevage industriel. Contrairement à cette approche, dans les solutions proposées par le GIEC pour limiter la crise climatique, la première est d’adopter un régime sans viande.

Le développement des technologies «pour l’agriculture de l’avenir» de la zone Agtech, en plus de produire beaucoup de GES, est en fait le développement de «solutions technologiques» pour répondre aux besoins  de l’agriculture industrielle, destructrice des sols, de l’eau, de la biodiversité  et du climat.

Le gouvernement québécois mise sur le développement de la serriculture intensive et les innovations technologiques pour répondre aux défis de la transition et l’autonomie alimentaire. Pourtant aucune analyse de l’empreinte carbone n’est effectuée pour savoir si ces développements sont compatibles avec l’atteinte des cibles de réduction de GES.

La transition en agriculture

Des experts font valoir que même si toutes les serres étaient chauffées à l’électricité au Québec, ce qui est loin d’être le cas, la demande énergétique serait trop grande pour constituer une solution durable pour atteindre l’autonomie alimentaire.

Une nouvelle agriculture en serre comme en champs est en plein essor au Québec, qui mise sur un ancrage local et l’approvisionnement des communautés de proximité, avec un grand souci de préservation de l’environnement et avec une perspective dynamique d’occupation du territoire, en accord avec les saisons et la luminosité disponible.

Des projets de serres plus petites, chauffées par l’énergie solaire passive et un changement dans nos choix alimentaires afin de produire en hiver des légumes qui supportent le froid (dans des serres à 5 °C), sont la voie à suivre pour une véritable transition énergétique. Transformer, déshydrater, congeler et conserver ce qu’on produit abondamment au Québec pendant la saison chaude est la voie vers l’autonomie alimentaire. Il faut renoncer à faire pousser des tomates en hiver, comme il faut renoncer à chauffer les nouveaux bâtiments industriels de la zone Agtech au gaz pendant les périodes de pointe énergétique. Selon plusieurs experts, la transition dans les bâtiments est facile à réaliser : l’utilisation de thermopompes avec ou sans géothermie couplées avec un chauffage d’appoint électrique est l’option la plus efficace, économique et écologique pour chauffer et climatiser les bâtiments sans avoir recours aux hydrocarbures.

Enjeu abordé lors de la période de question :

Le phénomène Agtech  marque une voie de privatisation de l’éducation car les universités sont amenées à développer des programmes pour répondre spécifiquement aux besoins de l’industrie

Par Louise Morand

AG du RVHQ, le 12 juin 2022.

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