Moratoire de quatre générations

M Montpetit de La Présentation constate que la fermeture définitive des puits de la province met fin au projet de fracturer 20 000 puits. Il a fallu un effort extraordinaire de l'ensemble de la population pour arrêter l'industrie gazière. Il relate un acte de courage dont il fut témoin.

Moratoire de quatre générations

ENFIN, après deux décennies de luttes citoyennes, le projet de loi 21 exige de fermer définitivement les puits de gaz de schiste fracturés de la province.[1] On doit se rappeler qu’après avoir acheté notre sous-sol à vil prix entre 2004 et 2010, les gazières proclamaient victorieusement la révolution des gaz de schiste par une série de trois soirées dites « d’information » tenues durant le mois de septembre 2010. Mal leur en prit car ces conquistadors ont eu la désagréable surprise de constater qu’ils n’étaient pas les bienvenus. L’opinion publique québécoise, indignée par leurs méthodes douteuses, a tordu le bras au gouvernement de M. Charest pour exiger d’être véritablement consultée au cours d’audiences du Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE). Malgré un mandat très restreint, ce BAPE a marqué un temps d’arrêt; cette pause nous a permis de nous mobiliser tout en comblant un grave déficit démocratique. Il a fallu un courage exemplaire d’une multitude de personnes qui ont oeuvré avec un sens du bien commun extraordinaire pour arrêter le rouleau compresseur de l’industrie gazière.

Lors d’une audience de ce BAPE, la vice-présidente de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) a lancé : « Je m’appelle Kim Cornelissen et je demande un moratoire d’une génération! ». Plusieurs autres jeunes ont défilé les uns à la suite des autres avec la même phrase faite au nom de la jeunesse car ce sont eux qui auront à vivre avec les conséquences à long terme de ce projet de 20 000 puits fracturés au Québec. Heureusement, le commissaire du BAPE ne s’est pas formalisé de cette mise en scène qui flouait la règle de fonctionnement quasi-judiciaire du BAPE où il est interdit de manifester son approbation ou son désaccord.

Cette idée d’un moratoire a germé. Des pancartes rouges arborant le slogan « Non aux gaz de schiste; un moratoire dès maintenant » se sont multipliées de façon exponentielle. Au printemps 2011, un groupe de jeunes ont décidé de faire un pèlerinage de Rimouski jusqu’à Montréal pour réclamer ce moratoire et en faire la promotion.[2] Le 18 juin, une grande manifestation devait les accueillir à leur arrivée dans la métropole.[3]

J’étais responsable d’un autobus qui se rendrait à Montréal pour appuyer les manifestants.[4] C’est avec stupeur que je vois arriver un groupe familial qui avait participé activement à notre manif du 28 mai devant le « puits qui fuit » de La Présentation.[5] Ce qui me sidère, c’est que Marie-Soleil, qui a accouché voilà seulement 4 jours, arrive avec son nouveau-né dans une poussette; elle est accompagnée par sa mère, son père et sa grand-mère!

Je sais que pour une jeune femme en pleine forme dans la vingtaine, accoucher est un processus naturel. Aujourd’hui, le trajet en autobus prendra environ une heure dans chaque sens, avec en plus une grosse manifestation bruyante ponctuée par de nombreux discours. Mille scénarios catastrophes se bousculent dans ma tête! Ça implique qu’une fois en route, on ne pourra pas revenir à cause des autres participants. D’une voix la plus neutre possible, je leur demande; « Êtes-vous certains de vouloir y aller avec le bébé? » On me répond : « C’EST POUR LE BÉBÉ QU’ON LE FAIT! »

Cette réplique me frappe avec la force d’un train lancé à toute vapeur; le but premier de la lutte contre les hydrocarbures, c’est de protéger la génération naissante! Dilemme! Que faire??? Je connais l’implication sociale de cette famille. Le bébé, Étienne, est accompagné de 4 adultes responsables et bien équipés. C’est avec la gorge nouée par le poids de cette décision que je les invite à monter à bord! Je me sens responsable de ce poupon. Tout au long de la manifestation, j’étais comme une ourse méfiante qui est à l’affût de tout indice de danger qui pourrait menacer son petit; un contremanifestant qui aurait voulu faire du grabuge aurait reçu un coup de griffe de l’ourse protectrice!

Dans mon coeur, cette journée du 18 juin ne fut pas simplement le moratoire d’une génération, mais celui de quatre générations qui unissaient leurs forces pour empêcher le saccage de la vallée du Saint-Laurent par la politique du « Drill, baby, drill ». L’action de cette famille rejoint le discours de la jeune Greta Thunberg qui disait au siège de l’ONU le 23 septembre 2019 : « Vous avez volé nos rêves avec vos paroles creuses...Des écosystèmes entiers s’effondrent et tout ce dont vous nous parlez, c’est d’argent et de contes de fées de croissance économique éternelle! Comment osez-vous! [6]

Ainsi va la vie! Les aînés doivent assurer l’avenir des jeunes. Aujourd’hui, le bébé Étienne est devenu un adolescent de 14 ans alors que son arrière grand-mère, Denise, est malade. La fermeture définitive des puits, exigée par la loi, se veut un moratoire permanent. Au Québec, cette solidarité exemplaire a empêché la fracturation hydraulique à grande échelle de notre sous-sol. Espérons que cette même solidarité saura voir le jour dans d’autres terres saccagées comme la Pennsylvanie, le Texas ou l’Alberta….

PENSER GLOBALEMENT, AGIR LOCALEMENT!

Gérard Montpetit

Comité Non Schiste La Présentation

le 10 septembre 2025

1] https://www.ledevoir.com/environnement/816433/puits-gaz-schiste-quebec-laissent-toujours-fuir-methane?#

2] https://www.journaldequebec.com/2011/05/16/une-marche-de-rimouski-a-montreal

3] https://www.gaiapresse.ca/2011/06/apres-666-km-a-pied-moratoire-dune-generation-invite-a-la-mobilisation-pour-son-arrivee-a-montreal-le-18-juin/

4] https://www.lapresse.ca/environnement/dossiers/gaz-de-schiste/201106/18/01-4410517-manifestation-dopposants-au-gaz-de-schiste-a-montreal.php

5] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/517572/manif-schiste-presentation

6] Greta Thunberg par Maëlla Brun, 2020, Édition de l’archipel, 237 pages. Citation à la page 122

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