Un corridor électrique pancanadien : une mauvaise idée

M. Bruno Detuncq, de Montréal, démontre que le corridor électrique pan canadien est une idée irréaliste et met en lumière le fait que l’Alberta et la Saskatchewan ne visent pas une décarbonation de leur production électrique.


Un corridor électrique pancanadien : une mauvaise idée

On parle ces derniers temps de construire un corridor énergétique traversant le Canada d’est en ouest. On veut nous refaire le coup du chemin de fer transcanadien, qui devait souder les différentes parties du pays naissant. La construction de nouveaux pipelines ou gazoducs a déjà été fortement dénoncée au Québec, et si l’idée devait de nouveau être mise de l’avant, elle se verrait opposer, encore une fois, le même non catégorique de la part de la population.

Mais une autre composante de ce corridor, soit une ligne électrique pancanadienne, reste cependant curieusement dans l'ombre. Pourtant, cette option est aussi absurde que la précédente. Pourquoi?

Premièrement, parce que, d'après les chiffres mêmes d'Hydro-Québec, construire une ligne à haute tension (735 kV) coûte entre 10 à 20 millions de dollars par kilomètre, selon les territoires à traverser. Construire une ligne de 2000 km coûterait donc au bas mot 20 milliards, et sans doute beaucoup plus. Et Vancouver est toujours aussi loin...

C'est là beaucoup d’argent investi dans un symbole. Une ligne qui relierait tout le Canada d'est en ouest est une aberration quand on sait qu'idéalement, l’électricité doit être produite le plus près possible du lieu de consommation. En plus de ces coûts exorbitants, il faudrait également tenir compte des pertes d’énergie au niveau des conducteurs électriques : plus la distance est grande, plus il y a de pertes.

De son côté, le Québec possède déjà plusieurs lignes électriques sur de longues distances (que l'on pense à Churchill Falls ou à la Baie James). Actuellement de nouvelles lignes relient (ou relieront bientôt) le Québec à New York et Boston. Mais elles se déploient sur une distance beaucoup plus courte (600 km et 500 km de Montréal respectivement) que la distance qui relierait Montréal à Calgary, soit 3 600 km. Ce serait, à notre avis, une erreur de construire une nouvelle ligne sur une distance aussi grande.

Deuxièmement, qu’ont donc à offrir les autres provinces1? Près de 60 % de l’électricité produite en Ontario provient de centrales nucléaires; le reste est un mix de 25 % d’hydraulique et de 15 % de gaz naturel. L'Alberta produit son électricité à 55 % à partir de gaz naturel, provenant principalement de la fracturation hydraulique, plus une proportion de 30 % produite par des centrales au charbon. En Saskatchewan, ces proportions sont de 46 % de gaz naturel et 32 % de charbon. Le Québec partagerait donc avec le reste du Canada son électricité provenant à 98 % de sources renouvelables pour obtenir en contrepartie de l’électricité de sources non renouvelables et très polluantes. C’est un non-sens.

Troisièmement, les pointes hivernales se produisent à peu près au même moment dans l’ensemble du Canada; l’hiver arrive en même temps d’est en ouest, c’est géographique. Le partage ne peut donc se faire, car les besoins de consommation les plus élevés apparaissent à la même période de l’année. Alors à quoi serviraient des lignes électriques qui n’ont rien à transporter? Le coût de revient de chaque kWh déplacé d’une province à l’autre ne permettrait pas de rentabiliser de telles installations.

Non, ce n’est vraiment pas de cela que nous avons besoin. L’Ouest doit plutôt développer avant tout ses propres filières d’énergies renouvelables pour sa consommation locale. Engluées dans leurs vieux réflexes fossilisés, les provinces productrices de combustibles carbonés ne semblent pas se rendre compte que le climat change, et qu'elles sont en ce moment les victimes de ce changement. Sans compter que les combustibles fossiles vont s’épuiser sans rien laisser aux générations à venir. Les provinces de l’Ouest doivent préparer leur transition énergétique et non, comme elles le font actuellement, accélérer le tout au pétrole et au gaz naturel.

De son côté, le Québec ne doit pas sacrifier sa décarbonation sur l’autel du fédéralisme. De toute façon, si la tendance se maintient, d’ici 2050, il n'aura même pas assez d'électricité pour décarboner l'ensemble de ce qui peut l'être sur son territoire. Il n’aura donc rien à partager en termes d’énergie électrique.

Le corridor électrique transcanadien est présenté comme un séduisant projet unificateur, mais il mise avant tout sur la peur d'une éventuelle pénurie d'énergie suscitée par les politiques américaines actuelles et, surtout, par le pipeline de désinformation alimenté par les lobbys du pétrole à Ottawa.

Bruno Detuncq

L’auteur est professeur à la retraite de Polytechnique Montréal.

1- https://ressources-naturelles.canada.ca/sites/nrcan/files/energy/energy_fact/2022-2023/PDF/Energy-factbook-2022-2023-FRENCH.pdf

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