Un jugement idéologique sur le projet Northvolt

Madame Louise Morand, de L'Assomption, note que le refus de la demande d'injonction déposée par le CQDE contre Northvolt, pour faire arrêter les travaux d'abattage d'arbres sur le site projeté de son usine, par le juge Collier, de la Cour supérieure du Québec, est purement idéologique et ne reflète pas le respect du droit en matière de protection de l'environnement

Un jugement idéologique sur le projet Northvolt

La décision du juge David R. Collier, de la Cour supérieure du Québec, de rejeter la demande d'injonction contre Northvolt présentée par le Conseil québécois du droit sur l'environnement (CQDE) pour mettre fin à la destruction d'un écosystème d'une grande importance écologique relève davantage de l'idéologie que du respect des lois québécoises en matière de protection de l'environnement. Le jugement, dont les arguments ont été rapportés par Le Devoir, reprend en fait le discours des promoteurs du projet sans aucun recul critique.

Même s'il reconnaît que l'écosystème qui sera détruit est un milieu «rare et important», le juge estime que la compensation financière offerte par la compagnie constitue un motif acceptable pour passer outre aux normes environnementales. Et, même si le gouvernement de la CAQ semble avoir magouillé pour soustraire le projet de Northvolt aux règles normales d'études environnementales, il considère que l'intérêt public exige avant tout de «protégerla sécurité juridique des activités autorisées par l’administration publique». Pour valider son point de vue, il invoque le fait que la compagnie pourrait subir des pertes économiques si le projet venait à être retardé, alors qu'il s'agit d'un projet créateur d'emplois, d'un projet «vert», etc.

Le juge David R. Collier est un juriste. Peut-on lui reprocher de ne pas être bien au fait de l'urgence climatique et des discussions qui ont cours dans les milieux scientifiques sur les moyens à mettre en œuvre pour éviter un réchauffement incontrôlable de la planète? D'ignorer que les «compensations» offertes pour les milieux naturels détruits échouent en général à protéger les espèces menacées? Ou encore de ne pas savoir qu'une analyse sérieuse du cycle de vie des batteries d'automobiles justifierait certainement, au Québec comme ailleurs, une option autre que l’électrification du transport individuel?

Le fait que le gouvernement Legault refuse toujours de mener une vraie consultation publique sur la transition énergétique n’est pas étranger au fait que la priorité de ce gouvernement (comme celle des Libéraux avant lui) demeure toujours l’enrichissement d’une petite frange de la population au détriment d'une véritable stratégie de lutte contre le réchauffement de la planète.

Ce qui est moins compréhensible dans la décision du juge Collier, c'est qu’en tant que magistrat de la Cour supérieure, il ne reconnaisse pas que les lois québécoises et fédérales sur la protection de l'environnement et des espèces en péril sont en l'occurrence bafouées. Les Québécois et les Québécoises se sont justement dotés d'un Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) pour éviter que des pseudo-justifications ne viennent se substituer à une véritable analyse des impacts environnementaux, sociaux et économiques des projets. En fermant les yeux devant toutes les irrégularités manifestes dans le dossier de Northvolt (modification de la loi pour permettre de soustraire le projet à une évaluation environnementale régulière, manque d'accès à l'information, absence d'études d'impacts, déni des normes en vigueur), le juge Collier légitime l'arbitraire en matière d’aménagement du territoire et de développement industriel.

En contexte de crise climatique, l’enrichissement d'une frange de la population est loin d'être un gage de bien commun. Les recommandations des scientifiques du GIEC et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) sont sans équivoque : la conservation et la restauration des milieux naturels sont la meilleure façon de diminuer notre empreinte carbone et de protéger la Vie, avec un grand V, celle qui assure la santé, la possibilité de se nourrir, de respirer et de jouir de notre présence au monde. Ces recommandations se fondent sur des constats basés sur la meilleure science de la vie et du climat. C'est d'ailleurs pourquoi le Canada s'est engagé, lors de la COP15 sur la biodiversité qui s’est tenue à Montréal en décembre 2022, à mettre la protection de la biodiversité et la protection et la restauration des territoires naturels au cœur de ses priorités.

Si le juge Collier ne trouve pas là des arguments assez solides pour que, face aux opinions contradictoires au sujet du projet Northvolt, il soit «raisonnable» de faire respecter les règles environnementales, on pourrait encore invoquer le principe de précaution. Ne serait-ce que pour assurer aux populations riveraines et à l’ensemble des Québécois et Québécoises qu’elles n’auront pas à déchanter face aux impacts toxiques de l'implantation de cette industrie sur leur territoire. Ce que seule une analyse sérieuse et transparente des impacts sociaux, économiques, environnementaux et de santé publique du «plus gros projet privé [subventionné par l'État] de l'histoire du Québec», permettrait de faire.

Louise Morand

Membre du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec

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